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Eiffel, « startupper du XIXe siècle »

L’homme revient sur le devant de la scène à l’occasion du centenaire de sa mort, le 27 décembre 1923. Un timbre à son effigie est même commercialisé depuis le 27 mars pour le célébrer. Il faut dire que derrière le nom « Eiffel » se cache une multitude d’œuvres et de bâtiments en tout genre, mais surtout l’une des constructions les plus connues au monde : la tour Eiffel. Retour sur le parcours de ce « véritable startupper du XIXe siècle », comme le définit l’association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE).

Qui était, en effet, vraiment Gustave Eiffel, qui a marqué la France et le monde par son savoir-faire industriel et ses techniques de construction pionnières ? Tout commence le 15 décembre 1832 à Dijon. Gustave Eiffel naît dans une famille modeste. Élevé en grande partie par sa grand-mère maternelle, il quitte le nid familial en 1852 pour rejoindre la capitale française. Il n’est pas reçu à l’oral du concours d’entrée à l’École Polytechnique mais trouve rapidement un point de chute à l’École Centrale.

Son souhait : devenir chimiste, dans l’espoir de reprendre une affaire familiale. Il n’en sera finalement rien en raison d’une querelle. Qu’il en soit ainsi, ce n’est pas cela qui empêche le jeune Gustave de poursuivre ses études. Diplômé en 1855, année de la première grande Exposition universelle tenue à Paris, le jeune centralien est en quête d’un nouvel avenir. Grâce aux bonnes connexions de sa mère, il s’insère très vite dans le milieu métallurgique et commence à travailler pour un ingénieur-constructeur de matériel de chemin de fer, Charles Nepveu.

C’est sans doute cet homme qui transmettra à Gustave Eiffel sa passion et sa maîtrise des ponts. À l’époque, le rail se développe à vitesse grand V. Dès 1857, Gustave Eiffel décroche un premier projet d’envergure : la construction du Pont de chemin de fer de Bordeaux. Long de 504 mètres et haut de 6,35 mètres, l’édification de cet ouvrage n’est pas une mince affaire. Mais le jeune prodige relève le défi avec brio. Le pont est finalisé trois ans plus tard, en 1860. Aujourd’hui connu sous le nom de la « passerelle Eiffel », il aura pendant plus d’un siècle permis le transport de voyageurs au-dessus de la Garonne avant d’être protégé en 2008, après que l’agglomération bordelaise a décidé au mitan des années 2000 de construire un nouveau pont pour fluidifier le trafic ferroviaire dans la cité.

Des ponts qui font sa renommée internationale

Plusieurs années plus tard, avec désormais quelques réalisations à son actif, Gustave Eiffel a pris du galon. Si bien que l’ingénieur décide en 1866 de fonder la société G. Eiffel et Cie, sa propre entreprise spécialisée dans les charpentes métalliques. Il installe ses ateliers à l’ouest de la Paris, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Il ne le sait pas encore, mais c’est véritablement à ce moment que sa carrière va décoller. En quelques années seulement, Gustave Eiffel va progressivement devenir un véritable capitaine d’industrie aux savoir-faire multiples : des ponts et viaducs, des appareils de levage et grues, des gares et même des usines à gaz…

Précurseur, G. Eiffel se démarque notamment de la concurrence en développant des ponts… en kit ! En clair, un pont portatif en acier était envoyé au client, qui se chargeait lui-même d’assembler son produit avant de le lancer par-dessus les cours d’eau.

Avant-gardiste

L’une de ses premières commandes arrive neuf mois à peine après la création de sa société : Gustave Eiffel est chargé de réaliser deux viaducs pour permettre la liaison ferroviaire Commentry-Gannat, dans le département de l’Allier. Comme sur chacun de ses projets, Gustave Eiffel s’illustre par ses idées comme par sa rigueur dans l’application de ses expérimentations. Après avoir innové à Bordeaux quelques années plus tôt en maîtrisant le fonçage des piles à l’air comprimé pour les fondations du pont, il décide cette fois-ci de créer « des jambes de forces aux pieds des piles, en leur donnant à la base une forme incurvée qui assure leur stabilité », raconte l’ADGE. Pari réussi.

Suivront au cours des vingt années suivantes de nombreux autres projets, souvent faramineux et qui finiront d’établir la renommée de Gustave Eiffel autour du globe : en 1876, il se charge du viaduc qui enjambe le Douro, à Porto ; construit en 1877 la gare de Pest en Hongrie, première gare à arborer une façade métallique apparente ; réalise le Pont routier de Cubzac, sur la Dordogne, long de 1545 mètres au total, en 1883 ; conçoit un an plus tard le Viaduc de Garabit, célèbre pour sa forme parabolique et sa hauteur (122 mètres). En 1887, Gustave Eiffel est, cette fois, à l’œuvre pour concevoir le mécanisme de la coupole de l’observatoire de Nice, d’un diamètre intérieur de 22,4 mètres. Sans oublier la réalisation, en 1881, de la structure de la Statue de la Liberté new-yorkaise, offerte par la France aux États-Unis pour célébrer le centenaire de l’indépendance américaine : l’ossature métallique est un mastodonte haut de 46 mètres pour 120 tonnes de charpente, soutenant une enveloppe de cuivre de 80 tonnes.

« La tour de trois cents mètres »

Ensuite, arrive le chef-d’œuvre : « La tour de trois cents mètres », du titre du livre édité en 1890 et qui comporte l’ensemble des planches, croquis et photographies des différentes phases de la construction de l’œuvre de sa vie : la tour Eiffel. À 51 ans, l’ingénieur va marquer les esprits en réalisant ce monument qui porte son nom, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889. Sur une idée originale de deux de ses employés, Maurice Koechlin et Emile Nouguier, Gustave Eiffel va parvenir à convaincre les autorités que cette construction grandiose est la meilleure des quelque 107 projets en lice. Véritable prouesse technique, à l’époque d’ailleurs pas forcément applaudie par tout le monde, le choix de ce monument en forme de grand pylône et doté de quatre poutres en treillis écartées à la base s’avérera être le bon. Aujourd’hui connu et reconnu dans le monde entier, le monument payant le plus visité du monde a accueilli en 2022 près de 6,2 millions de visiteurs (dont environ 75 % d’étrangers) et réalisé un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros, selon la Société d’exploitation de la tour Eiffel.

Gustave Eiffel au Panthéon ?

À l’apogée du génie de Gustave Eiffel, en 1889, succédera cependant rapidement une troublante affaire. Quelques années plus tard, l’ingénieur est éclaboussé par un scandale politico-financier qui va considérablement entacher sa réputation. Alors qu’il avait accepté en 1887 de mener à bien les travaux des écluses du canal de Panama, le voilà accusé d’abus de confiance pour avoir détourné des fonds financiers réservés aux travaux pour s’enrichir. Reconnu coupable par la Cour d’appel de Paris le 9 février 1893, l’homme est condamné à deux ans de prison et à 20 000 francs d’amende. Il sera blanchi, quelques mois plus tard, par la Cour de Cassation. Il n’empêche, le mal est fait. Sa réputation (momentanément) ternie, le bâtisseur décider de rendre le tablier. Passionné d’aviation, il se retranche dans ses laboratoires pour mener des recherches en aéronautique et en aérodynamique. Son obsession : mieux saisir la résistance en vent. C’est ce qu’il occupera pendant le restant de ses jours.

Aujourd’hui, près de cent ans après sa mort, la réputation de Gustave Eiffel le précède. « Gustave Eiffel fait rayonner l’image de la France dans le monde entier parce qu’il n’a eu de cesse d’innover. Il incarne la France industrielle et aura été un dirigeant aux idées sociales avancées », plaide auprès de l’AFP son arrière-arrière-petite-fille Myriam Larnaudie-Eiffel, membre de l’association des descendants de l’ingénieur qui a formellement formulé une demande de panthéonisation de Gustave Eiffel.