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Douze États membres, dont la Belgique, dénoncent fermement la bénédiction de la Commission pour restreindre la circulation de céréales ukrainiennes

Ces mesures soulèvent de graves préoccupations”, ont déclaré douze ministres de l’Agriculture (France, Allemagne, Pays-Bas, Irlande, Grèce, Autriche, Belgique, Croatie, Luxembourg, Estonie, Danemark et Slovénie), dans une lettre bien trempée adressée à la Commission.

Guerre en Ukraine : la Commission se démène pour rétablir le transit des céréales ukrainiennes via l’Union européenne

Un paquet d’aide de 100 millions d’euros

La Hongrie et la Pologne ont été les premières à décider, mi-avril, d’interdire les importations de céréales et d’autres produits alimentaires ukrainiens sur leur territoire, avant d’être suivies, par la Slovaquie puis par la Bulgarie.

L’accord, conclu le 28 avril par la Commission avec les pays affectés, comportait deux volets. Un : une enveloppe de 100 millions d’euros de fonds européens pour compenser les pertes des exploitants agricoles affectés par la chute des prix qu’aurait entraîné la présence grandissante des céréales ukrainiennes sur les marchés locaux, depuis le début de la guerre. À ce titre, les douze signataires de la lettre, révélée vendredi par Politico et consultée par La Libre Belgique, se demandent sur quels critères l’exécutif européen s’est basé pour déterminer ce montant et pour le distribuer aux cinq bénéficiaires. On notera au passage que ce sont ces derniers qui décident ensuite de la manière dont ils allouent les aides à leurs agriculteurs.

Des mesures exceptionnelles de contrôle

Deux : jusqu’au 5 juin, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie peuvent autoriser uniquement le transit de quatre produits agricoles – blé, maïs, colza et graines de tournesol – ukrainiens via leur territoire. Ces convois de céréales peuvent par exemple être scellés, afin de s’assurer que ces denrées ne se retrouvent pas sur le marché de ces pays, mais continuent bien leur route vers les ports européens, afin d’être ensuite exportées vers d’autres États, notamment d’Afrique. Tel était d’ailleurs l’objectif des efforts de l’UE pour faire sortir les produits agroalimentaires d’Ukraine : les faire parvenir aux continents menacés par l’insécurité alimentaire. C’est donc pour cette raison – et pour aider l’économie ukrainienne – que les Vingt-sept ont suspendu pendant un an les droits de douane et les quotas pour tous les produits venant d’Ukraine. Et qu’ils ont établi “des voies de solidarité” pour faciliter le transport (par train, routes ou rivières) des marchandises sur le territoire européen. Le défi est cependant énorme, des difficultés logistiques persistent en effet de sorte que les céréales ukrainiennes mettent du temps à traverser les pays de l’UE… et parfois y restent.

Ce qui n’a rien d’anormal en soi. Tout produit importé dans le marché unique européen a le droit d’y circuler librement. Donc en l’occurrence, d’y transiter ou d’y rester, pour être vendu sur le marché polonais par exemple. Autoriser cinq États membres à déroger à ce principe “conduit à un traitement différencié au sein du marché intérieur”, lit-on dans le document de trois pages, qui exige pour le moins des “clarifications” sur le respect des règles de l’UE.

La Commission, priée d’être transparente

C’est sans doute le plus grand reproche adressé à la Commission : celui de ne pas avoir assez communiqué sur le bien-fondé des mesures adoptées pour gérer cette situation. Un problème d’autant plus “critique” qu’elle se dit prête à prolonger ces mesures exceptionnelles. “Nous demandons instamment à la Commission de revenir à une procédure transparente”, ont écrit les douze ministres.

Interrogée vendredi à ce sujet, la Commission a déclaré qu’elle répondra en réexpliquant “les arguments” qui l’ont poussée à mettre ce paquet de mesures sur la table. “Il est essentiel pour nous que le flux de produits agricoles en provenance d’Ukraine se poursuive”, a défendu la porte-parole Dana Spinant, rappelant aussi la “situation anormale” qui frappe les marchés des cinq pays voisins de l’Ukraine.

Or des doutes persistent quant aux causes réelles de la chute des prix des céréales dans les pays voisins de l’Ukraine, suspectés d’avoir eux-mêmes créé les conditions de cette débâcle. En effet, selon un article de Reuters, publié mardi 9 mai, les agriculteurs auraient été encouragés par les gouvernements d’Europe centrale et orientale, dont celui polonais, à stocker leurs récoltes, pariant sur une future augmentation des prix. Des informations qui alimentent davantage la méfiance des autres Etats membres.

Ne pas faire le jeu de la Russie

Le ton, particulièrement corsé, de la lettre est sans doute aussi le reflet de l’exaspération des signataires, en particulier quant à l’attitude de la Pologne. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement polonais pousse l’UE à se montrer toujours plus ambitieuse dans son soutien à Kiev, faisant la morale aux États membres hésitants. La décision unilatérale de Varsovie de bloquer le transit de céréales ukrainiennes est donc (très) mal passée auprès d’autres capitales européennes. “Il est impératif de veiller à ce que l’UE soit unie et à ce que nos différences ne fassent pas le jeu de la Russie, en particulier sur cette question”, indiquent donc les douze ministres. Moscou menace en effet de ne pas renouveler l’accord céréalier de la mer Noire, qui a permis jusqu’ici tant bien que mal à maintenir cette “ligne de vie” alimentaire primordiale pour de nombreux pays du Sud, en dépit de la guerre.

Mardi dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que “toute restriction sur nos exportations est absolument inacceptable maintenant parce qu’elle renforce les capacités de l’agresseur” russe. “Ces mesures protectionnistes, sévères, voire cruelles […] ne peuvent que décevoir en temps de guerre”, a-t-il estimé, visant donc la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie. “Nous attendons de l’UE la suppression de toutes les restrictions le plus vite possible”, a ajouté le chef de guerre ukrainien, aux côtés la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui était en déplacement à Kiev.