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« Dans la région des Balkans occidentaux, on en a assez des messages politiques symboliques »

Ce scepticisme n’est pas étonnant pour le dirigeant d’un État qui est candidat à l’adhésion à l’UE depuis 2005 et a mis 17 ans pour convaincre les Vingt-sept – surtout la Grèce, puis la Bulgarie – d’ouvrir les négociations à ce sujet. D’autant que pour lancer réellement ces discussions, Skopje n’est pas au bout de ses peines.

Stevo Pendarovski, président de la Macédoine du Nord : « Nous avons pris beaucoup de décisions difficiles. Et l’Europe oublie ses promesses »

Après avoir changé son nom pour régler un vieux conflit avec la Grèce et dégager sa voie vers l’UE (et l’Otan), le pays s’est confronté à un blocage de la Bulgarie, lié à des questions d’identité linguistique, culturelle, historique. Un compromis – “qui n’a rien à voir avec les critères d’adhésion à l’UE”, insiste M. Pendarovski – a été conclu, en 2022, pour que Sofia lève son veto à l’ouverture des négociations d’adhésion avec Skopje. De son côté, la Macédoine du Nord s’est notamment engagée à inclure, dans sa Constitution, la communauté bulgare. “C’est la seule demande que nous avons acceptée. Cela a des mérites, puisque 3 500 Bulgares vivent dans notre pays. Sept communautés sont déjà citées dans notre Constitution. Y ajouter les Bulgares – et même par exemple les Monténégrins, les Croates ou les juifs – ne pose aucun problème. La Macédoine du Nord a toujours été un pays multiculturel, multiethnique. Cela doit être reflété dans notre Constitution.”

Sauf que ce deal a été approuvé à la majorité par le Parlement macédonien, alors qu’une modification de la Constitution nécessite le soutien de deux tiers des députés. Or l’opposition, dont les nationalistes, refuse de jouer le jeu. “Ils font de la politique politicienne”, regrette M. Pendarovski, un académicien de formation qui n’appartient à aucun parti politique mais a été soutenu, lors de son élection en 2019, par une trentainte de formations, représentant diverses communautés ethniques. Les “gens sont lassés des changements de Constitution” et de “toutes les demandes” qu’il a fallu honorer ces dernières années. “L’opposition sait que sur cette question elle peut gagner du terrain. Elle marque des points et le gouvernement en perd, en attendant les élections parlementaires dans 10-11 mois”.

Tensions avec Sofia

La rhétorique côté bulgare n’aide pas et les tensions entre les deux pays se multiplient. Le 6 mai, la Macédoine du Nord a interdit à l’eurodéputé bulgare Andrey Kovachev d’entrer sur son territoire, où il voulait assister à une célébration historique dans un cimitière militaire bulgare. “Il y avait un risque pour l’ordre public”, justifie M. Pendarovski, citant les “provocations”, les propos “malveillants”, les “revendications territoriales” de l’intéressé et d’autres eurodéputés bulgares à l’égard de la Macédoine du Nord, qui attisent la colère des nationalistes du pays. “Il y aurait eu certainement un clash dans les rues.”

« Dans le cas d’une confrontation directe avec l’Ouest, la Russie serait défaite sévèrement en très peu de temps”

Autre incident : le Premier ministre macédonien Kovacevski a estimé que le discours de la Bulgarie à l’égard de la Macédoine du Nord était “très similaire” au discours de la Russie sur l’Ukraine. Ce qui est mal passé côté bulgare. “Mais il a raison”, défend M. Pendarovski, citant les tentatives de la Bulgarie pour nier ou s’approprier l’histoire, l’identité, même la langue de la Macédoine du Nord. “Le récit politique, côté bulgare, tient d’une politique paternaliste, qui ne devrait pas avoir sa place dans l’Europe contemporaine”.

En mal d’attention

Côté européen, la Commission est en train d’analyser le niveau d’alignement de Skopje sur la législation européenne, afin de dicter le chantier de réformes. C’est la première étape des négociations d’adhésion, qui devrait être finalisée d’ici l’automne. Mais ce n’est que lorsque la Bulgarie aura obtenu le changement demandé dans la Constitution macédonienne qu’elle donnera – sauf surprise – le feu vert pour passer à l’étape suivante et plus déterminante des négociations, une décision qui nécessite l’unanimité des Vingt-sept.

Pour M. Pendarovski, il urge de faire avancer les choses. Les élections européennes, prévues en juin 2024, approchent et après ce scrutin, “il faudra attendre avant que l’UE ne redonne de l’attention à la Macédoine du Nord”. Surtout, “nous ne devrions pas rater ce momentum lié à l’élargissement de l’UE, dans le contexte de la guerre”. L’Union a repris goût à l’élargissement, à tel point qu’elle a donné en un temps record le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie.

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La pire chose qui soit arrivée à la région, c’est qu’avant la guerre en Ukraine, aucun politicien de l’UE n’en parlait.

De quoi susciter la frustration des pays Balkans, qui aspirent tous à rejoindre le club ? “J’ai envoyé une lettre au président ukrainien Zelensky lui disant que, si nous pensions être oubliés par l’UE, nous soutenions sa candidature. Que nous ferons le maximum pour aider aussi la Moldavie et même la Géorgie. Et que nous souhaitons une attention égale pour les Balkans occidentaux”, explique M. Pendarovski. “Je ne veux pas qu’on nous dise ‘vous êtes excellents, vous n’avez qu’à entrer immédiatement dans l’Union’. Mais qu’on nous dise ouvertement quand nous sommes bons ou pas. La pire chose qui soit arrivée à la région, c’est qu’avant la guerre en Ukraine, aucun politicien de l’UE n’en parlait, ce n’était abordé que par des fonctionnaires.”

La Communauté politique européenne approche

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Cela doit être un outil opérationnel, pas un club de débatteurs.

Les temps ont changé. Toujours dans un élan géopolitique, la France a poussé pour créer la Communauté politique européenne : un rendez-vous annuel des dirigeants de tous les pays d’Europe, excepté la Russie et la Biélorussie. Le prochain sommet se tiendra à Chisinau, en Moldavie, le 1er juin, mais il reste à voir ce que cet exercice politique peut effectivement apporter.

“Cela doit être un outil opérationnel, pas un club de débatteurs”, plaide M. Pendarovski, estimant qu’il faut en profiter pour régler des problèmes, comme la crise de l’énergie, qui touchent tant les membres que les non-membres de l’UE. “Lorsque la CPE a été annoncée, beaucoup, dans les pays des Balkans, y ont vu un message politique symbolique adressé à la région pour lui dire qu’on ne l’oublie pas. Nous, les habitants de la région, on en a assez des messages politiques symboliques. Il faut du concret.”