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Corée du Sud : « Réponse autoritaire », destitution… Qu’a tenté le président Yoon Suk Yeol avec sa loi martiale mort-née ?

L’Assemblée nationale sud-coréenne n’a pas cédé à l’instauration mardi soir de la loi martiale, décrétée unilatéralement par le président Yoon Suk Yeol. Malgré le chaos, et alors que des soldats armés ont escaladé les clôtures de l’enceinte ou brisé des fenêtres pour tenter de s’y introduire, les employés parlementaires ont tenu bon cette nuit-là. Ce chaos s’est concrétisé par le vote du Parlement levant la loi martiale. Quelques heures après l’annonce, la tentative de Yoon Suk Yeol est donc mort-née. Le président a-t-il tenté d’éteindre la démocratie dans le pays ? Que risque-t-il à présent ? On en parle avec Marianne Péron-Doise, directrice de l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique à l’IRIS.

Yoon Suk Yeol a-t-il tenté de renverser la démocratie en Corée du Sud ?

« A l’origine, la loi martiale est une loi d’urgence en cas de troubles à la sécurité publique notamment. C’est donc une réponse à une situation exceptionnelle », analyse Marianne Péron-Doise. Mais, assure la spécialiste de l’Indo-Pacifique, « rien ne justifiait ce recours » dans le contexte actuel de la Corée du Sud. Yoon Suk Yeol a justifié sa décision en évoquant des « menaces posées par les forces communistes nord-coréennes » et une volonté « d’éliminer les éléments hostiles à l’Etat ».

En réalité, le président se trouvait en plein bras de fer avec l’Assemblée nationale sur le budget 2025 – ce qui n’est pas sans rappeler la situation française. Le chef d’Etat, élu en 2022, a dénoncé une « dictature parlementaire », alors qu’il n’a jamais obtenu la majorité au parlement. A ces justifications chancelantes s’ajoute une méthode plus que discutable. « Le président est tenu d’en référer à l’Assemblée nationale et de justifier sa décision de mettre en place la loi martiale, ce qu’il n’a pas fait », souligne Marianne Péron-Doise, qui estime qu’avec cette décision, Yoon Suk Yeol a choisi la « réponse autoritaire ».

Comment la population réagit-elle ?

Des milliers de personnes ont manifesté mercredi à Séoul, la capitale, pour protester contre le coup de force du président. « On a assisté à une réaction immédiate, très cohérente et très importante de l’opinion publique », note Marianne Péron-Doise. Si Yoon Suk Yeol jouit, à l’international, d’une image « flatteuse », la mélodie est différente au sein du pays.

« Yoon a rapidement été minoritaire et impopulaire car il a un rapport très individuel voire autoritaire au pouvoir : il fait la guerre aux médias, n’écoute pas les syndicats ou les mouvements sociaux. Il n’y a aucun dialogue en interne », explique la chercheuse. Preuve de son impopularité, enterrée une seconde fois par ce coup de force avorté, près des trois quarts des Sud-Coréens soutiennent la demande de destitution du président, selon un sondage publié mercredi par l’agence Realmeter. « La population ne va rien lâcher, ça lui rappelle de trop mauvais souvenirs », assure Marianne Péron-Doise.

Qu’est-ce qu’il risque à présent ?

Le président sud-coréen va devoir affronter une motion de destitution, déposée mercredi par six partis de l’opposition qui l’accusent d’avoir « gravement violé la Constitution et la loi ». Les parlementaires devront se prononcer samedi à 11 heures (heure française). Pour être adoptée, cette motion de censure doit être adoptée par les deux tiers de l’Assemblée nationale, ce qui signifie que huit députés du parti présidentiel devront la voter pour que Yoon Suk Yeol tombe.

Toutefois, « si le président n’est pas destitué, ça pourrait se jouer dans la rue ». Or, « l’opinion publique sud-coréenne a déjà montré qu’elle était capable de montrer sa détermination, parfois même dans la violence », prévient Marianne Péron-Doise. Isolé, Yoon Suk Yeol a été prié par le chef de file de son parti conservateur, le Parti du pouvoir au peuple (PPP), de quitter le groupe à cause de sa « loi martiale anticonstitutionnelle ».

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Enfin, le président est visé par une plainte de la principale force d’opposition, le parti démocrate, pour « rébellion » et une enquête a été ouverte. Si, selon l’experte de la région, ces poursuites ont peu de chance d’aboutir, le président sud-coréen est, au mieux, sur la sellette. « Je pense qu’il a brûlé ses derniers vaisseaux », résume-t-elle.