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Confessions d’un ex-agent infiltré du FBI : « Ils ont mis 20 ans à découvrir ma double nationalité »

Seulement voilà, pendant que le monde de l’entertainment avait choisi de divertir, Marc Ruskin lui cherchait plutôt à protéger la population américaine. Il peut en témoigner, la main sur le cœur : pendant plus de 27 ans, dont sept en qualité d’agent « infiltré » : ce Franco-Américain né avec du sang argentin aura été l’un des agents du FBI les plus actifs sur le terrain. Un coup d’œil sur les états de service de cet ex-agent spécial – puisqu’il est aujourd’hui à la retraite – permet de mesurer combien ce policier d’élite a agi souvent au péril de sa vie. Dans son livre Caméléon : Mémoires d’un agent du FBI infiltré (Hugo Doc, 488 pp., 19,95 €) disponible depuis peu, cet homme de 68 ans raconte son destin hors norme et, surtout, comment en empruntant une douzaine d’identités différentes – appelées des « légendes » dans le métier -, il a réussi à berner et mettre sous les verrous des criminels de la pire espèce. Au fil des pages, on apprend comment cet ancien procureur adjoint du district de Brooklyn a décidé, du jour au lendemain, de postuler à Quantico en Virginie. C’est là, au sein de ce camp d’entraînement, que les recrues du FBI se battent de toutes leurs forces – test d’endurance physique, cours de tir, maîtrise de l’art de l’enquête – pour intégrer la police fédérale. Beaucoup de prétendant(e)s mais, au final, très peu d’élu(e)s Voici l’interview déclassifiée d’une légende du FBI.

Comment définiriez-vous la fonction d’agent infiltré ?

C’est un agent qui, sous couvert de plusieurs identités, établit des relations avec des malfaiteurs de toutes sortes. Le but est, dans un premier temps, de gagner leur confiance. Pour ensuite collecter des preuves qui permettront au FBI de les placer en détention.

Vous avez suivi une formation d’avocat. Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir un agent du FBI ?

J’ai toujours eu un goût prononcé pour l’aventure. Je voulais être dans la meilleure organisation, et faire des enquêtes compliquées et parfois dangereuses. Je ne voulais pas non plus rester toute ma vie derrière un bureau. J’ai visé le FBI sans vraiment croire que j’allais être accepté dans ce corps d’élite. C’est une organisation de 10 000 agents. Et parmi eux, pour faire de l’infiltration, ils sont une centaine.

Quels sont les critères requis pour être encarté au FBI ?

Il existe deux types d’agents. Les cols blancs qui sont derrière les ordis et qui font des recherches ; et les cols-bleus, comme moi, qui agissent sur le terrain. La première qualité demandée pour un agent infiltré, c’est sa capacité à s’adapter à n’importe quelle situation et face à n’importe quels individus. Bien évidemment, il faut être physiquement et psychologiquement au top. Quand j’ai postulé, il y avait 60 000 candidats. Après un examen plus approfondi, il n’en restait que 12 000 après l’examen écrit. L’écrémage continue alors avec seulement 20 % seulement de sélectionnés sur ces 12 000 candidats. Entre 10 et 20 % quitteront encore l’Académie avant la remise des diplômes parce qu’ils n’ont pas répondu correctement à l’interrogatoire poussé du FBI.

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Comment se déroule cet interrogatoire ?

Pendant deux heures, trois agents du FBI vous posent toutes sortes de questions auxquelles vous devez donner des réponses spontanées. La pression est énorme. Par la suite, vous passez des tests médicaux, puis d’endurance physique et enfin, le FBI fait une enquête approfondie sur vous. Des agents interrogent vos anciens camarades de classe, vos profs, votre ancienne équipe de football, votre ex-girlfriend… Ils font des recherches pendant six mois environ sur votre passé et enchaînent avec des enquêtes de voisinage dans tous les endroits où vous avez vécu. Rien n’est laissé au hasard. Et ce n’est qu’ensuite que vous êtes autorisé à vous rendre au centre de formation de Quantico, en Virginie.

Ces méthodes de recrutement du FBI sont-elles 100 % fiables ? Serait-il possible, par exemple, qu’un agent bipolaire, comme celui incarné par Claire Dane dans la série Homeland, ne soit pas détecté ?

On s’assure bien évidemment que les gens qui postulent ne sont pas des membres de la Cosa Nostra ou des terroristes. S’il y a un doute, l’enquête peut durer deux ans. La procédure est tellement poussée que la sélection d’agents dérangés, instables ou ingérables est difficile à imaginer. Cela dit, il existe des agents qui sont devenus des criminels et qui ont fini en prison. On a connu aussi des collègues qui se sont suicidés à cause du stress lié à ce job.

Charles J. Bonaparte, le petit-neveu de Napoléon Bonaparte, a été le premier à avoir mis un service d’enquêteurs spécialisés contre le crime organisé aux États-Unis, le « Bureau of Investigation » (BOI), en 1908, qui deviendra le FBI en 1935. Le fait d’être d’origine française a-t-il facilité votre recrutement ?

Le FBI adore recruter des analystes financiers, des informaticiens et des juristes. Mais si vous parlez une langue rare, c’est aussi un plus. Le français n’est pas considéré comme une langue « critique ». En principe, pour être admis au FBI, vous devez être uniquement de nationalité américaine. Mais dans mon cas, j’ai aussi la nationalité française. Sauf que le FBI a mis 20 ans à s’en apercevoir. Lorsque j’ai rempli le formulaire pour devenir un agent fédéral, il m’a été demandé si j’avais un passeport d’un autre pays que celui des États-Unis. J’ai répondu par la négative car, à l’époque, je n’en avais pas. Si la question avait été : « Êtes-vous un citoyen d’un autre pays où êtes-vous né dans un autre pays ? », cela n’aurait pas été la même chose. En tant qu’avocat, on m’a toujours appris à ne jamais répondre à une question qui ne vous a pas été posée.