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Chine et Russie affichent une parfaite entente malgré la guerre en Ukraine

Le faste donné à cette première visite de Xi en Russie depuis juin 2019, la complicité affichée par les deux chefs d’État, la volonté commune de promouvoir un vaste agenda économique : rien n’a été négligé pour projeter l’image d’une parfaite entente. Si le numéro un chinois a nié vouloir constituer un “bloc” avec la Russie, et si le communiqué conjoint publié mardi exprime le souhait que le conflit ukrainien ne dégénère précisément pas en “affrontement entre blocs”, l’impression donnée par la connivence entre Russes et Chinois est, au contraire, qu’un bloc anti-occidental existe et qu’il se renforce.

Service minimum à Moscou

En apparence, tout au moins. Car, comme à la belle époque des communismes chinois et soviétique, le plus révélateur reste dans le non-dit. Le communiqué final n’évoque ainsi le conflit ukrainien – dossier majeur dans les relations sino-russes – que de manière presque périphérique, en termes généraux chargés d’évidences et de platitudes, sans annoncer la moindre initiative concrète pour ramener la paix, encore moins pour aider la Russie à gagner. Ainsi ce texte n’a-t-il nullement la vigueur attendue de la part de deux alliés qui seraient convaincus de la justesse de leur cause et voudraient se donner tous les moyens pour triompher.

Comme à l’Onu, Pékin continue d’offrir à Moscou un service minimum. Xi Jinping marche, il est vrai, sur le fil du rasoir, se refusant depuis le début à soutenir pleinement une agression contre un pays ami et souverain, mais en sachant aussi qu’une défaite de la Russie serait également celle de ses alliés, et que l’humiliation essuyée par Moscou déteindrait inévitablement sur Pékin – et sur celui qui y règne en maître absolu. À quoi s’ajouterait une autre perspective épouvantable : qu’une déroute en Ukraine ne provoque la chute de Poutine et son remplacement par un dirigeant mieux disposé à l’égard de l’Occident, comme le furent Boris Eltsine en son temps ou Dmitri Medvedev durant son passage à la présidence russe (2008-2012).

Un vieux triangle géopolitique revisité

Fondamentalement, dans la conduite de ses relations avec le Kremlin, la Chine cherche avant tout à défendre ses intérêts faisant, en définitive, aussi peu de cas de la Russie que de l’Ukraine. Or, la compétition entre la Chine et les États-Unis est devenue une obsession à Pékin, et les Chinois estiment ne pas pouvoir la soutenir seuls – à tout le moins tant qu’ils n’ont pas acquis une puissance suffisante. Le triangle Pékin-Washington-Moscou n’est, au demeurant, pas une nouveauté. Jadis, quand la Chine craignait d’être attaquée par l’URSS, elle s’est appuyée sur l’Amérique pour mieux écarter la menace. Aujourd’hui, le jeu des alliances s’est modifié, dès lors qu’on pense à Pékin que le danger vient désormais davantage de Washington que de Moscou.

Le bond en avant des relations économiques sino-russes est, certes, une réalité, mais il s’inscrit lui aussi dans l’ordre des choses. La Chine a un besoin exponentiel d’énergie et de matières premières ; la Russie en est l’un des plus gros producteurs mondiaux et, qui plus est, les deux pays sont voisins, ce qui facilite le transport et réduit les coûts. L’annonce par Vladimir Poutine d’un accord sur la construction du gazoduc “Force de Sibérie 2”, qui fournira à la Chine 50 milliards de mètres cubes par an, témoigne de la consolidation des liens entre Moscou et Pékin. Mais la Chine a besoin de ce gaz et le projet aurait été de l’avant, avec ou sans la guerre en Ukraine. Tout au plus, dans la position de faiblesse où se trouve une Russie frappée par les sanctions, la Chine a-t-elle probablement pu négocier des conditions plus favorables.

L’ennemi héréditaire, c’est la Russie

Il faut encore rappeler que l’ennemi héréditaire de la Chine, ce n’est ni l’Amérique, ni l’Europe; c’est la Russie. C’est elle qui, sous les tsars, a enlevé à l’Empire chinois un million de kilomètres carrés (jamais restitués). C’est elle qui, sous Staline, a failli mener à l’anéantissement le jeune Parti communiste chinois (au nom d’une alliance suicidaire imposée avec le Kuomintang de Chiang Kai-shek). C’est elle qui, sous Staline toujours, a entraîné la Chine dans la désastreuse guerre de Corée (menée par procuration pour l’URSS). Et c’est elle encore qui, sous Khrouchtchev, a contraint les Chinois à vivre dans la hantise d’une guerre nucléaire déclenchée par des camarades devenus ennemis jurés.

Ce lourd passif empêche l’instauration d’un climat de confiance entre Pékin et Moscou, hypothéquant le développement d’un véritable partenariat. Significativement, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine et au renforcement de la coopération bilatérale dicté par les circonstances, les échanges commerciaux entre les deux géants étaient restés à un niveau anormalement bas, en dépit des promesses répétées, d’un côté comme de l’autre, de les porter vers des sommets toujours plus élevés.

Ce legs de l’Histoire compromet aussi la médiation que Xi Jinping affecte de vouloir assurer après avoir présenté un plan de paix qui ne suscite visiblement l’enthousiasme de personne. La Chine est trop proche de la Russie pour paraître impartiale, notamment aux yeux des Ukrainiens, mais la Russie se méfie elle-même trop de la Chine pour s’en remettre à ses bons offices.