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Chantage, violence, insécurité, loyers hors de prix…: pour les jeunes, trouver à se loger aux Pays-Bas est un parcours du combattant

Violences et chantage

”Si on ne se fait pas arnaquer, on se fait menacer ou on subit un chantage…” , soupire Madeleine*, 24 ans. Cette jeune Française vit avec un colocataire agressif, subit nuit et jour les aléas de son humeur, et voit a soumise au bon vouloir de ce dernier. “Il ne répare rien, m’accuse de tout, m’envoie des messages complètement fous, m’insulte, puis agit comme si de rien n’était le lendemain. Il me terrorise, et j’ai peur qu’un jour il passe des paroles aux actes. Mais je n’arrive pas à trouver une autre colocation, le loyer est très avantageux et je n’ai plus la force de continuer à chercher.”

Madeleine n’est pas la seule dans ce cas. Dans les résultats du sondage récoltés par GHRD, des témoignages anonymes inquiètent les représentants de l’ONG. Celui-ci est un exemple “Je ne suis pas néerlandaise, mais je suis européenne. Il n’y a aucune aide pour nous. Je vis aujourd’hui dans une tente et j’ai dû recourir à la prostitution.” Une situation “inadmissible”, dénonce Kivilcim Ceren Buken, coordinatrice de l’équipe Moyen-Orient à GHRD. “Vous ne devriez jamais avoir à ressentir un danger chez vous. Et encore moins devoir vous prostituer, vous imaginez ?”

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Violence et chantage occupent le quotidien des chercheurs d’appartement. Yoella* a dû accepter un rendez-vous galant pour pouvoir se loger. “J’ai fait appel à un agent pour me trouver un logement. Il m’a demandé de sortir avec lui, cela faisait des mois que je cherchais sans rien trouver. J’ai fini par dire oui tellement j’étais désespérée.” Des histoires telles que celle de Yoella*, il y en a à la pelle dans les grandes villes néerlandaises. Surtout “que de nombreuses annonces ne demandent que des filles, même quand le colocataire est un homme. C’est souvent justifié par des raisons bidon”, explique Sophie Villaret, une Française qui a fini par trouver un appartement après s’être fait escroquer. “Il y en a beaucoup”, ajoute-t-elle, “les gens profitent du désespoir des personnes sans logement.”

Pas suffisamment d’appartements

À l’origine de ces exigences impossibles : un réel manque d’appartements. En 2022, 22 700 élèves de plus qu’en 2021 cherchaient un logement d’après Kences, le centre de recherche pour logement étudiant. “Je suis venue à La Haye pour la fin de mes études. Mes parents sont tous deux aisés dans mon pays, j’ai donc des garants. Le premier homme qui ma prise comme colocataire disait vouloir m’épouser, je ne suis donc pas restée, je ne me sentais pas en sécurité”, explique Sophia*, 30 ans, derrière ses grandes lunettes, ses yeux lançant des éclairs. “J’ai trouvé un deuxième appartement, et là le propriétaire/colocataire m’a mise à la rue, parce que je suis rentrée à minuit un soir et il ne le tolérait pas”, continue-t-elle, lancée dans sa plainte. “J’ai dû retourner chez celui qui voulait m’épouser le temps de trouver une colocation… Je n’en peux plus. Et encore je ne peux même pas m’enregistrer à la mairie comme habitante ici.”

En plus des difficultés à se loger, le système néerlandais requiert un numéro d’immatriculation personnel (le Burgerservicenummer – BSN) lié à… une preuve de contrat d’habitation. Sans ce numéro il est impossible d’avoir un travail déclaré. Un casse-tête qui donne encore plus de fil à retordre aux expatriés, car un Néerlandais naît automatiquement avec un BSN. Sophia* témoigne sous couvert d’anonymat car elle a peur de ne pouvoir trouver un logement pérenne si son nom apparaît dans les médias, mais ce n’est pas l’unique raison. Sans BSN, elle est “hors-la-loi et de nombreux jeunes expatriés ont peur d’aller demander de l’aide. “C’est un cercle vicieux” , conclut-elle.

C’est encore plus difficile pour les expatriés

La crise du logement aux Pays-Bas affecte principalement les personnes dans la vingtaine et les trentenaires. D’après GHRD, “les expatriés se trouvent dans des situations de précarité car ils n’ont pas la chance d’avoir l’aide de leurs familles et de leurs amis.” Les Néerlandais aussi ont de plus en plus de mal à trouver un appartement à leur goût. Selon une étude de l’organisation des agents immobiliers, le prix de vente moyen d’un logement dans le pays, au deuxième trimestre de l’année 2021, était de 410 000 euros. C’est une augmentation de 20 % par rapport à l’année précédente, et “la plus forte augmentation depuis 1995, date du début des mesures” , écrit Mark van der Lee, pour le site du NVM. Une hypothèque sur un tel montant semble impossible : “Elle s’obtient avec deux fois le revenu moyen des Pays-Bas.”

Des dizaines de manifestations ont éclaté en 2021 dans tout le pays, ralliant étrangers et Néerlandais. Des solutions ont été discutées en septembre 2022 au Parlement néerlandais, comme un plan d’action national pour le logement étudiant qui créerait 60 000 habitations à un prix abordable d’ici à 2030. Le plan prévoit une clause pour protéger les étudiants étrangers, mais certaines universités – comme celle d’Amsterdam – ont décidé de limiter le nombre d’étudiants internationaux dans les prochaines années pour obtenir un changement dans la disponibilité des logements. Pour l’ONG, GHRD, ce n’est pas tolérable : “Le groupe le plus vulnérable est donc le plus marginalisé.”

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