Ce qui se passe en Roumanie est-il un « coup d’Etat » comme l’affirme l’extrême droite ?

Son recours a été définitivement rejeté à l’unanimité des juges de la Cour constitutionnelle. Calin Georgescu, un des candidats d’extrême droite à la présidentielle, ne pourra pas se présenter à l’élection reportée en mai. Les motifs de ce verdict seront publiés au Journal officiel prochainement. Les résultats du premier tour avaient été annulés en décembre en raison de soupçons d’ingérence étrangère alors que Calin Georgescu était arrivé en tête avec 23 % des voix, lui qui était crédité de 5 % dans les sondages.
Opposé à l’aide à l’Ukraine voisine et pourfendeur de l’Otan, Georgescu confiait il y a plusieurs années son admiration pour Vladimir Poutine. Fin février, il a été placé sous contrôle judiciaire pour diffusion de fausses informations, fausses déclarations sur son patrimoine ou les financements de sa campagne (il a déclaré avoir dépensé 0 leu) et sa participation ou son soutien à des organisations fascistes, racistes ou xénophobes, rapporte Romania Insider.
« Un exemple de réécriture des faits »
« Coup d’Etat des juges », « coup d’Etat de l’Union européenne », « coup d’Etat de l’Otan », « ce qu’il se passe en Roumanie est grave »… Depuis décembre, sur les réseaux sociaux, les posts viraux de comptes souverainistes et d’extrême droite se montrent alarmistes. « C’est un parfait exemple d’inversion des valeurs et de la réécriture des faits opérées par l’extrême droite roumaine et européenne », souligne Alexandre Riou, historien spécialiste de l’histoire politique et sociale de l’Europe centrale et orientale contemporaine.
Le 9 mars, le bureau électoral a refusé la candidature de Calin Georgescu, en faisant référence à la décision de décembre de la Cour constitutionnelle d’annuler le scrutin pour des raisons d’atteinte aux principes constitutionnels et démocratiques. « Ce n’est pas un coup d’Etat, mais cette décision radicale [d’annuler les résultats de l’élection] est motivée par des circonstances exceptionnelles », précise le doctorant.
Soupçons d’ingérence russe
La présidence roumaine a déclassifié les rapports, publiés par la presse, des services de renseignements et de communication spéciale montrant les preuves des soupçons d’ingérence russe. Il en ressort que Calin Georgescu a bénéficié « d’une campagne de promotion agressive dont le but était de contourner la législation nationale en matière de droit électoral », surtout sur TikTok, a relevé Alexandre Riou, qui a épluché ces rapports, dans une note de la Fondation Jean-Jaurès en décembre. En outre, plus de 85.000 attaques ont visé les infrastructures informatiques et de communication de support du processus électoral, souligne aussi un autre rapport.
Le ministère de l’Intérieur roumain a aussi identifié un schéma d’actions identique entre la campagne « Équilibre et verticalité », slogan de Georgescu, à celui mis en œuvre dans la campagne présidentielle ukrainienne avant l’invasion russe, détaille le chercheur. Cette campagne de manipulation de vidéos sur les réseaux sociaux, via des micro-influenceurs, visait à associer les caractéristiques du président idéal avec celles de Călin Georgescu. Son nom n’était pas prononcé dans les vidéos, mais un nombre élevé de commentaires le précisait.
« De faux comptes ou des « comptes dormants » ont été créés ou réveillés en même temps avec le même contenu et se sont auto-alimentés afin de faire grimper la visibilité du candidat », complète Alexandre Riou.
Des effets politiques incertains
Cette campagne relève d’une mécanique novatrice. « C’est la première fois qu’une puissance potentiellement hostile s’attaque directement à un processus électoral de très haut niveau, explique Alexandre Riou. On n’a pas de cas dans l’Union européenne de tentative d’ingérence qui soit montée si haut. »
Mais les effets politiques des décisions de la Cour constitutionnelle restent très incertains. Depuis l’annulation du premier tour de l’élection, la cote de popularité de Georgescu a fortement grimpé. Dans les sondages, 40 % des électeurs le soutiennent.
« C’est un phénomène qu’il ne faut pas négliger, analyse le chercheur, la Roumanie est assez divisée. Le paradoxe, c’est que cette décision, qui s’appuie sur des éléments assez solides, notamment liés aux principes constitutionnels, va peut-être servir à l’extrême droite pour renforcer son discours victimaire. » George Simion, candidat de l’Alliance pour l’unité des Roumains, autre parti d’extrême droite, et qui a soutenu Georgescu, pourrait en bénéficier.