Cauchemar au Nouvel An : Il est 1h15 du matin à Istanbul, le massacre à la discothèque Reina commence
Une fois de plus, la fête va tourner au bain de sang sous les balles fanatiques de l’Etat islamique (EI). Les basses vont faire place au bruit sec des Kalachnikov. Les rires vont s’éteindre, remplacés par des cris de terreur. Dans la nuit du Nouvel An, tout juste une heure après le passage à l’année 2017, un homme armé d’un AK-47 pénètre dans la discothèque Reina, située au cœur de la rive occidentale d’Istanbul. Il tire dans la foule, au hasard. Il veut faire le maximum de victimes, comme l’ordonne la doctrine de Daesh. Au total, 39 personnes tombent sous ses rafales, auxquelles il faut ajouter 79 blessés.
Une adresse prisée de la nuit stambouliote
Quelques heures plus tôt, la nuit s’annonçait prometteuse. La terrasse du club, situé sur les quais, offre un « point de vue superbe » sur le Bosphore. C’est un « endroit qui vaut le détour », à en croire les commentaires de visiteurs quelques mois auparavant. L’établissement a une partie restaurant qui offre « une nourriture merveilleuse » et une partie club, avec, au centre, un grand bar. Le lieu est recommandé par les sites touristiques, qualifié de « star des clubs sur le Bosphore » et d’un « incontournable de la vie nocturne de la ville », où « les stars du monde entier [se] pressent lors de leur passage à Istanbul », selon un blogueur voyage. Ce n’est pas une boîte de nuit à la portée de tous, l’entrée est filtrée.
C’est la Saint-Sylvestre, alors le club est bondé. Stambouliotes et touristes se mélangent parmi les 700 à 800 personnes réunies dans l’établissement. On les imagine cheveux collés, sourire aux lèvres, bras levés et corps ondulant en train de trinquer et se déhancher sur une « musique top » pour certains, « un peu commerciale » pour d’autres. Le DJ passait-il This is what you came for de Calvin Harris et Rihanna, ou du DNCE ?
Sept minutes pour tuer
Vers 1h15 du matin, aux tout premiers instants de l’année 2017, alors que les coupes de champagne se vident et que les convives s’enivrent, l’assaillant débarque devant l’établissement. Son fusil d’assaut est chargé, prêt à l’emploi. Il abat ses deux premières victimes devant la porte de la Reina, un policier et un vigile. La soirée vient de basculer, la terreur s’abat sur la piste de danse. « On a entendu deux, trois coups de feu, on s’est dit qu’une bagarre avait éclaté devant, expliquera à l’AFP Yunus Turk, un Alsacien de 25 ans rescapé de la tuerie. Et au bout de dix, quinze secondes, [le tireur] a commencé à entrer à l’intérieur, il a commencé à [tirer en rafales] et, là, on s’est dit : « C’est un attentat, c’est une fusillade ». »
Pendant sept minutes, le terroriste tire plus de 180 balles, principalement dans le haut des corps, ainsi que des grenades aveuglantes pour déstabiliser ses cibles. Un seul objectif : tuer le plus possible. Dans cette panique totale, certains ont sauvé leur peau en sautant dans le Bosphore, raconte Yusuf Kodat, cousin du premier.
D’autres n’ont pas eu le temps, 25 hommes et 14 femmes, nouvelles victimes du terrorisme. Parmi elles, des Turcs mais aussi des touristes d’Arabie saoudite, du Liban, de Tunisie, d’Inde, du Maroc, de Jordanie, d’Irak, du Koweït, du Canada… « Sur la terrasse, il y avait quelques cadavres, du sang partout, des verres cassés », raconte Yusuf Kodat. Et dehors, « le carnage ».
Chasse à l’homme dans Istanbul
Le « sang-froid » du tireur en arrivant devant la Reina, capté par la caméra de surveillance de la rue, fait penser à une attaque préparée. L’assaillant avait un double chargeur. Après le massacre, il a pris le temps de se changer dans les cuisines du restaurant pour ressortir incognito, se fondre dans la masse et s’enfuir en taxi. L’enquête montrera plus tard que sa cible initiale était la très populaire place Taksim, finalement trop surveillée ce soir-là.
Après l’attentat, une chasse à l’homme se met donc en place pour retrouver celui qui est identifié le 4 janvier comme étant Abdulkadir Masharipov, ou Abou Mohammad Khorassani pour l’Etat islamique. Plusieurs personnes sont arrêtées, mais l’auteur principal de la tuerie reste introuvable. Les enquêteurs s’aperçoivent qu’il était déjà en lien avec la cellule islamiste à l’origine de l’attentat à l’aéroport d’Istanbul le 28 juin 2016. Sa cache découverte, il est finalement interpellé le 16 janvier dans la banlieue d’Istanbul. L’Ouzbek de 34 ans n’a pas quitté la ville.
« Je voulais tuer des chrétiens »
Fervent djihadiste formé en Afghanistan, il s’est infiltré en Turquie par l’Iran, « mettant en lumière une filière centre asiatique », commente à l’époque Jean-Pierre Filiu, historien et professeur à Sciences Po. L’attaque a été commandée depuis la ville syrienne de Raqqa, comme ceux perpétrés à Saint-Denis et Paris un an plus tôt. Les donneurs d’ordre sont restés en contact avec l’exécutant jusqu’à son arrivée devant la boîte de nuit et l’ont ensuite aidé dans sa fuite. « Je voulais tuer des chrétiens », avoue le terroriste aux enquêteurs.
Douze mois plus tard, le 11 décembre 2017, Abdulkadir Masharipov fait face à la justice avec 58 complices. Il est condamné le 7 septembre 2020 quarante fois à la prison à perpétuité. Une condamnation pour chacune des 39 personnes tuées, et une pour l’ensemble du massacre.
Son attaque s’est inscrite dans un contexte particulièrement sanglant pour la population turque, ciblée depuis plusieurs années par Daesh. Ce sera aussi le dernier attentat d’ampleur commis en Turquie par le groupe, grâce au démantèlement de nombreuses cellules identifiées pendant l’enquête. Pour la Reina, il s’agissait aussi d’une dernière. Il n’a jamais rouvert.