International

Au Liban, une crise inutile et dangereuse sur l’heure d’été

À l’origine de cette malencontreuse histoire d’horloges, la décision (presque) unilatérale et impromptue de Nagib Mikati de conserver l’heure d’hiver jusqu’à la nuit du 20 au 21 avril prochains. Une mesure annoncée le 23 mars sans justification, alors que le Liban ajuste ses pendules à l’heure d’été depuis 1998.

L’ami du Hezbollah et de Bachar al Assad: qui est le (probable) futur président du Liban?

Une vidéo met le feu aux poudres

Quelques heures plus tard, une vidéo fuitée dans les médias d’un échange informel entre le Premier ministre et le chef du Parlement, le chiite Nabih Berry, sous-entend qu’il s’agirait là de réduire d’une heure le jeûne des musulmans libanais à l’occasion du Ramadan, calé sur les heures de lever et de coucher du soleil. Ce qu’a admis M. Mikati ce lundi, déplorant “des réactions communautaires odieuses”.

Dans un Liban miné par les crises — économique, financière, sociale et politique — et dont plus de 80 % de la population a plongé sous le seuil de pauvreté, il n’en aura pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres, entre sarcasmes et inquiétantes dérives confessionnelles, rappelant les divisions qui avaient mené à la guerre civile (1975-1990). Improvisée à trois jours du changement d’heure, cette décision a d’abord pris de court de nombreux secteurs d’activités comme l’aviation civile, les télécoms, les banques, les médias, les hôpitaux et les entreprises. Inquiets de ses répercussions techniques dans un monde ultra-connecté, la plupart ont décidé de passer outre.

« Ennemi public numéro un » pour beaucoup de Libanais, Riad Salamé jette l’éponge dans un contexte tourmenté

Une levée de boucliers dans les milieux chrétiens

Dans les milieux chrétiens, l’affaire a suscité une levée de boucliers. D’autant que le Liban est confronté à une double vacance politique, sans chef d’État (chrétien) depuis le 31 octobre 2022 et sans gouvernement effectif depuis mai 2022. Les deux principaux partis chrétiens, le Courant patriotique libre de Gebran Bassil et les Forces Libanaises de Samir Geagea se sont insurgés contre la décision du Premier ministre, le premier lançant une cinglante diatribe : “Nous, nous suivons l’horloge internationale, celle des gens développés et civilisés, pas celle des primitifs et arriérés”. L’influent patriarcat maronite a lui dénoncé une décision “prise sans concertation”, annonçant qu’il ne s’y plierait pas, à l’instar d’autres institutions chrétiennes.

Mais c’est sur les réseaux sociaux que la bataille a fait rage, affichant au grand jour les crispations communautaires. “- La partition c’est pour quand ? – C’est une question d’heure”, twittait ironiquement le blogueur Claude el-Khal, en réaction à une photo affichant des heures différentes pour Beyrouth-ouest et Beyrouth-est, souvenir de la ligne de démarcation pendant la guerre civile.

D’autres commentaires, émanant d’internautes chrétiens, faisaient part de leurs craintes de se voir bientôt imposer “le week-end musulman” (du vendredi au samedi), ou appelaient tout bonnement à l’instauration du fédéralisme, séparant le pays entre zones chrétiennes et musulmanes. “C’est une folie absolue, les réactions sont disproportionnées”, s’inquiète l’analyste politique Khaldoun Charif, qui voit là un révélateur des “tensions à cause du vide à la tête de l’État, de la crise économique et d’une classe politique incapable de résoudre les problèmes du pays, alors que le FMI a été très clair”. Au même moment, le 23 mars, une délégation du FMI concluait sa visite à Beyrouth en avertissant que le Liban se trouvait à “un moment très dangereux”, compte tenu de l’extrême lenteur des réformes entreprises.