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Après des mois de suspense, l’indéboulonnable Erdogan connaît enfin le nom de son principal adversaire

L’homme de 74 ans est originaire de la région kurde alévie de Tunceli (ou Dersim), au centre du pays, politiquement à gauche de l’échiquier politique. Économiste de formation, il a notamment occupé les fonctions de directeur de la Sécurité sociale turque. À la tête du CHP depuis 2010, il est symboliquement dépositaire de l’héritage de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la république turque en 1923. Au-delà de la défense de la république et de la laïcité, il a tenté d’élargir son électorat au-delà de sa base traditionnelle. Avec sa proposition de “réconciliation” à l’automne 2021, il a tendu la main aux milieux conservateurs et aux minorités ethniques, marginalisés tout au long de l’histoire de la République.

Parmi ses faits d’armes, il a notamment lancé une longue marche pour la Justice en 2017, suite à la condamnation à la prison d’un de ses députés. Il est également à l’origine d’une stratégie gagnante lors des élections municipales de 2019. En présentant Mansur Yavas à la municipalité d’Ankara et Ekrem Imamoglu, jusqu’alors inconnu du grand public, il s’est fait l’artisan de la victoire du CHP dans les principales villes du pays, mettant fin à deux décennies de règne du parti de la Justice et du Développement.

Décrit comme quelqu’un d’affable par ses collaborateurs, il est souvent critiqué par les commentateurs pour son manque de charisme. Il s’agira sans doute de son principal handicap face au président Erdogan, au verbe haut, connu pour son caractère pugnace et incisif. Mais il pourra aussi, par un jeu de miroirs, en faire une force et s’inscrire en totale opposition avec le personnage autoritaire du “reis”.

C’est d’ailleurs la figure d’une personnalité rassembleuse qu’il a esquissée au soir de l’officialisation de sa nomination. “Notre table est celle de la paix et de la fraternité. Notre objectif supérieur est de porter la Turquie vers des jours prospères, paisibles et joyeux. […] En tant qu’Alliance nationale, nous gouvernerons la Turquie par la consultation et le consensus”, a-t-il déclaré lors de son discours lundi soir, en précisant que les présidents des autres partis de la coalition assureraient des fonctions de vice-présidents pendant la période de transition vers un régime parlementaire.

Une coalition disparate

La coalition de “l’Alliance du peuple” rassemble 6 partis d’opposition, aux sensibilités idéologiques très diverses. Allant des nationalistes du Bon Parti aux islamoconservateurs du parti de la Félicité, en passant par les kémalistes républicains laïcs du Parti républicain du peuple, la volonté de se débarrasser de Recep Tayyip Erdogan et le retour au système parlementaire constituent l’unique sujet de consensus.

L’unité de façade de l’opposition a pourtant volé en éclats vendredi soir. Meral Akşener, présidente du Bon Parti (IP), a annoncé – contre toute attente – retirer son soutien à Kemal Kılıçdaroğlu. La crispation entre les deux chefs de partis n’était pas nouvelle, mais elle a laissé craindre une implosion de l’alliance à dix semaines d’un scrutin historique.

En intégrant officiellement les maires d’Ankara et d’Istanbul à son cercle de conseillers rapprochés, Kemal Kılıçdaroğlu est parvenu à convaincre la leader du Bon Parti de revenir sur ses déclarations. La formule trouvée permettra de ménager l’électorat nationaliste tout en s’assurant le soutien de la coalition d’extrême-gauche rassemblés autour du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), qui a accepté la candidature du leader du CHP. L’opposition parvient in extremis à former une coalition très large et espère renverser le rapport de force dans les urnes le 14 mai prochain.