High-tech

« TikTok, c’est comme si YouTube et Twitter avaient eu un enfant qui ne peut parler que durant 20 secondes »

Le mois passé, explique The Economist, le groupe chinois a assuré avoir 150 millions d’utilisateurs aux États-Unis, ce qui le place devant Instagram, et tout près désormais de Facebook (les deux réseaux sociaux appartenant au groupe Meta). L’hebdomadaire économique note à cet égard que l’écart des bénéfices globaux par utilisateur de Meta et ceux de ByteDance se réduit et se réduira encore à mesure que progresseront les revenus hors de Chine. Mais, assure encore The Economist, « TikTok est en train de devenir le passe-temps préféré de l’Occident ». Sauf si les gouvernements occidentaux devaient décréter une mise à l’index de la plateforme de partage de contenus.

Réseau social ? Oui et non !

« C’est bien avant tout d’une plateforme de divertissement qu’il s’agit », nous explique Arnaud Vanhemelryck, Global Head of TK.Lab (Ogilvy Group). « On aurait tendance à comparer ses résultats à des réseaux sociaux, mais ce n’en est pas un stricto sensu. Si l’on passe du temps sur les réseaux sociaux pour y consulter les notifications de ses amis, on va sur TikTok pour se distraire. Et l’algorithme de la plateforme est tellement bien fait que l’on se retrouve rapidement face à des sujets que l’on apprécie, ce qui en fait le succès. TikTok, c’est comme si YouTube et Twitter avaient eu un enfant qui ne peut parler que durant 20 secondes », explique encore cet expert du marketing spécialisé dans l’usage de ce nouveau canal de diffusion. Ici, selon lui, les courtes vidéos vont de 17 à 34 secondes au maximum, alors qu’il est possible d’y poster des vidéos de 10 minutes.

Et contrairement aux idées reçues, on n’y trouve pas que des vidéos d’ados qui dansent. « En fait, 50 % des utilisateurs de la plateforme ont plus de 25 ans. En Belgique, TikTok compte 4,8 millions d’utilisateurs… La croissance ? Il y a deux ans, on ne comprenait rien à cette plateforme. Aujourd’hui, les créateurs de contenus y règnent en maîtres. Et notre défi en tant qu’agence marketing est de faire comprendre aux entreprises comment exploiter ce média. Parce que, si c’est encore un petit marché face aux géants du numérique, sa croissance est très importante. Les recettes publicitaires estimées pour cette année hors Chine tournaient autour de 11 milliards de dollars. Et ce que l’on voit pour 2023 en réalité est maintenant estimé entre 17 et 18 milliards de recettes publicitaires pour TikTok. Ce qui signifie que les entreprises vont faire migrer une partie de leurs investissements publicitaires vers cette plateforme au détriment d’autres places… »

On comprendra que ces « autres places », essentiellement américaines, doivent se frotter les mains en entendant les projets de bannissement de TikTok un peu partout dans le monde, elles qui proposent des fonctionnalités similaires, par un effet de « halo ». Retenons que TikTok effectue la même adaptation, offrant des fonctions qui en font un réseau social d’échanges entre utilisateurs. « En attendant, l’accélération des recettes publicitaires de TikTok fait réfléchir les entreprises qui doivent envisager leur présence sur cette plateforme. Dans la pratique, elles insèrent leurs propres messages au format TikTok entre des contenus de créateurs, ce qui crée un événement au sein d’une parenthèse de divertissement », explique encore Arnaud Vanhemelryck.

Des acteurs interdépendants

L’écosystème est en place dans ce nouveau marché en phase d’accélération. « Les marques classiques ne se sentent pas toutes à l’aise dans ces formats. Elles sont en demande de guidance. Nous les aidons à maîtriser les techniques dédiées, à travailler avec les créateurs de contenus spécialisés. » On comprend le modèle de travail des annonceurs, celui des agences, mais quid des influenceurs ? « Ce n’est pas précisément un terrain propice aux influenceurs. Ici, les créateurs sont rémunérés par les agences ou par les annonceurs, sur base d’un prix à la vidéo ou au nombre d’impressions, par exemple. Mais TikTok, comme YouTube ou Spotify, testent des modèles de rémunération. »

Pour Arnaud Vanhemelryck dont la branche spécialisée a été lancée en septembre de l’année passée, les risques de mesures de bannissement de TikTok sont-ils inquiétants ? « On surveille ce qui se dit, mais je pense à titre personnel que le secteur va être régulé, et que ByteDance va mettre elle-même en place des solutions de sécurisation des données. Elle a déjà commencé le travail en relocalisant les données privées auprès de tierces parties aux États-Unis (Project Texas) et en Europe (Project Clover), dans le cadre d’un projet pesant des milliards de dollars. » Et de préciser que ce chantier porte sur les données de 1,7 milliard d’utilisateurs, dont 150 millions en Europe.