High-tech

Stellantis : l’IA, une « grosse claque » pour économiser temps et argent

Gilles Vidal revient chez Stellantis pour chapeauter le design des marques européennes du groupe. Le groupe Stellantis est en pleine restructuration depuis le départ de Carlos Tavares.

Après une courte parenthèse chez Renault, Gilles Vidal revient chez Stellantis pour diriger le design des marques européennes du groupe. Nous l’avons rencontré pour discuter de l’avenir du design automobile à l’ère de la voiture électrique, de l’intelligence artificielle et des nombreuses marques chinoises émergentes.
Interview Gilles Vidal // Source : Stellantis

Stellantis traverse une période de restructuration. Depuis le départ inattendu de Carlos Tavares, son ancien PDG, des changements s’opèrent et certaines personnes reviennent.

Parmi elles, Gilles Vidal. Directeur du design de Peugeot entre 2010 et 2020, il a marqué l’époque stylistique de la marque avant de quitter pour Renault, où il a contribué à la conception des Scénic et Twingo E-Tech.

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De gauche à droite : Pierre Leclerq (design Citroën), Matthias Hossann (design Peugeot), Gilles Vidal (design Stellantis), Thierry Metroz (design DS) // Source : Stellantis

Le dernier retournement : son retour chez Stellantis, cette fois pour superviser les équipes de design des huit marques européennes du groupe : Peugeot, Citroën, DS, Opel, Fiat, Abarth, Lancia et Alfa Romeo. Il succède à Jean-Pierre Ploué, un rôle qu’il connaît bien depuis ses débuts chez Citroën en 1999.

C’est dans ce cadre que nous l’avons rencontré au Stellantis Creative Center à Vélizy (78), anciennement l’ADN (Automotive Design Center), où sont imaginées les futures Peugeot, Citroën et DS. L’occasion d’échanger sur l’avenir de l’automobile, entre intelligence artificielle, véhicules électriques et concurrence chinoise.

Qu’est-ce que le design ?

À un designer automobile, la pire chose à dire est qu’il travaille dans le département style d’une marque – dès les années 90, Patrick Le Quément avait rebaptisé le style Renault qu’il dirigeait en « Renault Design ».

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DS Aero Sport Lounge // Source : DS Automobiles

Gilles Vidal partage cette vision : « La discipline du design, ce n’est pas juste faire des jolies formes et des jolies voitures. C’est faire en sorte que l’expérience de vivre l’automobile et des services associés soit meilleure demain que ce qu’elle n’est aujourd’hui. »

Il souligne que l’expérience est au cœur du design, une discipline « très holistique, très 360° » dans laquelle « l’esthétique est une brique » que le designer doit compléter pour offrir « une expérience globale juste, pertinente et améliorée. »

L’impératif de se démarquer

À l’échelle internationale…

La question demeure : comment réaliser « du bon design » ? À la notion « d’attractivité », qu’il trouve « un peu subjective », Gilles Vidal « préfère parler d’émergence ». Il développe :

« Dans un monde où presque tous les constructeurs savent produire de très bons produits (voitures fiables, de qualité, bien équipées, performantes, et même avec du bon design), comment sortir du lot ? »

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Interview Gilles Vidal // Source : Stellantis

Sa réponse est claire : « Le seul élément qui peut réellement faire la différence, c’est le design », ce qui souligne plusieurs volontés. La première est d’intensifier les propositions : « Il faut aller très loin », affirme-t-il. « Nous le disons souvent en plaisantant, mais si nous ne parvenons pas à faire peur à la moitié de notre Comex avec nos propositions, c’est que nous sommes trop timorés. Si tout le monde trouve ça acceptable et non choquant, cela signifie déjà que c’est obsolète. »

Toutefois, il met en garde contre l’excès : « l’étrange ou le bizarre, ça n’attire qu’une élite. Il faut garder un peu d’harmonie : j’utilise toujours le terme d’agréable à l’œil. C’est ce que disaient les artisans menuisiers il y a 150 ans pour qualifier quelque chose d’harmonieux et plaisant. »

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Peugeot Inception // Source : Matthias Hossann / Peugeot

Une autre volonté est de créer des « icônes ». Ce terme ne concerne pas l’imagerie religieuse, mais plutôt des voitures « qui ont marqué leur époque, qui affichent un style unique et qui ont apporté un élément fort en termes de pertinence produit ».

En d’autres termes, adopter une approche qui va « au-delà de faire un bon produit » est essentielle si « [Stellantis] souhaite émerger demain »« cela pourrait même être un gage de survie », affirme-t-il.

…et au niveau du groupe

Nous sommes en phase avec le fait que les huit marques européennes de Stellantis regorgent d’icônes. Aurons-nous droit à du néo-rétro, à l’image de la Renault 5 ? Ce n’est pas un interdit selon Gilles Vidal, mais « il faut avoir une bonne raison de le faire ».

Et pourquoi ne pas s’inspirer de l’esprit des anciens modèles ? Gilles Vidal évoque la Citroën 2 CV : « produire des articles très justes, fortement émotionnels, très fonctionnels, tout en restant assez minimalistes et économiques à produire, cela a du sens puisque la raison d’être à l’époque était déjà cela. »

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Interview Gilles Vidal // Source : Stellantis

L’importance d’avoir des marques fortes est donc évidente. Cependant, chez Stellantis, il peut être complexe de différencier huit marques lorsque la standardisation est à son maximum et que certaines d’entre elles ne connaissent pas le succès commercial escompté.

Gilles Vidal l’admet : bien que « toutes les marques doivent avoir une vraie raison d’être », il n’est « pas sûr que cela soit suffisamment puissant et clair aujourd’hui pour toutes » : « il faut préciser, renforcer, et proposer des produits qui soient parfaitement alignés ».

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DS Aero Sport Lounge // Source : DS Automobiles

C’est tout un défi : « Préciser le positionnement des marques […] à travers des produits très justes avec des synergies à préserver au sein du groupe : c’est un exercice difficile, mais nous travaillons activement dessus. »

Nouvelles approches de création

Plus rapide, plus efficace

Une tendance majeure dans l’industrie automobile est le raccourcissement des délais de développement des véhicules. Cette stratégie, née en Chine, a été adoptée par Renault pour concevoir sa Twingo en deux ans.

Gilles Vidal soutient cette approche : en travaillant avec des délais plus courts, « nous avons un gain en fraîcheur de design ». Il explique : « moins de temps signifie que nous avons l’intention de faire fonctionner le produit », car « nous n’avons pas le temps de nous égarer ou de poser trop de questions. »

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Maquette en clay de la DS N°8 // Source : Laurent Nivalle / DS Automobiles

De plus, ce raccourcissement des délais de développement n’est pas perçu comme une contrainte : « en design, […] nous pouvons aller beaucoup plus vite que ce que nous faisons actuellement » ; « nous nous synchronisons avec un système [ingénierie, industrialisation, etc.] qui est plus lent que notre potentiel. »

Les solutions sont claires. D’un côté, « il faut une équipe réduite, éviter les intermédiaires, ne pas avoir trop de managers et travailler ensemble quotidiennement » ; de l’autre, « il faut être clair sur les idées dès le départ, décider rapidement : le niveau d’ambition doit être très élevé dès le départ. »

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Citroën C4 // Source : Citroën

En d’autres termes : « il faut avancer avec détermination, être très ambitieux, choisir rapidement, ne pas se laisser aller, rester concentré et ensuite déployer avec rigueur. »

Une intelligence artificielle interne

Gilles Vidal l’affirme sans détour : l’intelligence artificielle (IA) « va probablement constituer la plus grande révolution que l’humanité ait jamais connue ».

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IA could never // Source : DS Automobiles

Une « grosse claque » qui fait déjà partie du quotidien du studio de design Stellantis : « cela fait trois ans que nous utilisons l’IA en design », explique-t-il, tout en précisant les limites : « l’IA ne remplace pas l’intelligence créative humaine » ; plus précisément : « c’est un outil extrêmement puissant, bluffant dans ses capacités, mais il ne s’agit que d’un outil qui accélère certains moments du processus ».

Le studio de design a identifié trois domaines d’application intéressants. Le premier concerne un modèle « développé en interne » alimenté par les créations des designers (Gilles Vidal souligne : « seuls eux peuvent générer des idées créatives inédites, inventer des choses qui n’existent pas déjà »).

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Peugeot E-5008 // Source : Maxime Blandin / Peugeot Design

Cette IA peut éliminer « une étape très ennuyeuse pour les designers : générer de nombreuses alternatives » à partir d’un croquis prometteur, avec « 200 propositions en 30 secondes ».

Le deuxième domaine concerne « des IA capables, à partir d’un croquis, de produire un modèle 3D en 30 secondes » ; certes, cela n’est qu’un « premier jet » qui nécessite toujours « l’intervention humaine ensuite », mais Gilles Vidal considère que cela « économise entre deux et trois jours de travail pour un modeleur 3D ».

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Recherche 3D au design DS // Source : DS Automobiles

Le troisième domaine, à un stade plus avancé du développement : « quand l’ingénierie a réalisé toute la structure », et si le design « désire modifier une forme parce qu’en aérodynamique, cela pourrait améliorer quelque chose », alors l’IA « recalcule instantanément » les contraintes, épargnant « une à deux semaines de travail ».

En résumé, l’IA est « un excellent assistant qui permet d’accélérer de nombreux aspects du processus ». « En revanche », précise-t-il, « s’il s’agit de définir les formes du futur ou de découvrir les tendances de demain, [l’IA] est incapable de quoi que ce soit ».


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