Spotify Wrapped, SNCF… Les rétrospectives, un joli cadeau de Noël pour les services marketing
«Toi aussi t’as Taylor Swift dans ton Spotify Wrapped ? » Oui, comme à peu près tout le monde, étant donné que l’artiste était la plus streamée sur la plate-forme musicale. Mais cette discussion de machine à café ou autour d’une bière traduit aussi autre chose : en décembre, désormais, les marques nous abreuvent de rétrospectives. En plus de Spotify (ou des autres apps de musique, Deezer et Apple Music), la SNCF, Twitch ou encore Duolingo s’y sont mis.
Ces flash-back, partagés spontanément sur les réseaux sociaux en décembre, sont aussi un bon ami des applis elles-mêmes. « Les rétrospectives constituent un outil intéressant pour les marques, estime Elodie Gentina, professeur en marketing à l’Ieseg School of Management. C’est une capsule pour valoriser son image auprès du client. » Ahlem Abidi-Barthe, directrice générale d’Ascencia Business School et spécialiste du marketing numérique, rattache plus largement cette pratique au « marketing expérientiel ou marketing des sens, où l’on vend une expérience plutôt qu’un simple produit, et qui émerge dès les années 1990 ».
Spotify a été le pionnier de ce format précis, avec une playlist de l’année en 2015 et un format adapté aux réseaux sociaux en 2020. L’appli SNCF Connect, elle, s’y est mise en 2021. « Quand on a vu l’émulation autour de Spotify, nous nous sommes dit qu’étant aussi une marque du quotidien, cela permettrait de faire de la pédagogie autour de l’application », expose Marie Perrin, directrice de la marque au sein de SNCF Connect & Tech.
Emotion, appartenance et marketing de la nostalgie
La rétrospective joue sur notre intérêt pour les données, surtout quand elles nous concernent. « Il y a un « effet Ikea » : l’utilisateur va accorder plus de valeur à quelque chose qu’il a contribué à créer », explique Séverine Erhel, enseignante chercheuse en psychologie cognitive et ergonomie à l’université Rennes-2. « Quand une marque s’adresse à nous, ça flatte notre ego, on se sent différent », ajoute Ahlem Abidi-Barthe. D’autant qu’entre l’intelligence artificielle et la quantité de données collectées par ces applications, les possibilités de personnalisation sont larges. Spotify, par exemple, comme le rapportait le média américain Wired en 2021, est capable de savoir quand vous avez fait pause dans une chanson, ou à partir de quelle musique vous avez arrêté la playlist pour en mettre une autre.
En plus de donner d’eux-mêmes dans ces rétrospectives, les utilisateurs en font aussi un événement collectif. Partagées par les marques en format vertical ou carré, elles sont faites pour s’exporter sur les réseaux sociaux. Le hashtag #SpotifyWrapped, par exemple, a cumulé 13,2 millions de publications sur TikTok. « Ces rétrospectives vont induire des phénomènes de comparaison : j’écoute plus de musique que les autres, j’écoute tel artiste à la mode, complète Séverine Erhel. On signifie son appartenance à une communauté, à un groupe. »
SNCF Connect a bien compris ces mécanismes et utilise sa propre rétrospective pour travailler son image de marque (et nous faire oublier cette heure et demie de retard à Montparnasse avant le départ en vacances). « La Rétrainspective met en parallèle une donnée sérieuse avec une donnée rigolote », décrit Marie Perrin. Exemple avec la durée de vos trajets comparée à des fromages mis bout à bout. « Cela permet de créer de la conversation avec et entre les clients. » Elle affirme que les partages de la Rétrainspective se comptent en centaine de milliers sur X, Instagram ou LinkedIn.
Les rétrospectives jouent aussi sur une émotion puissante en marketing : la nostalgie. Une méthode efficace, surtout auprès de certains publics. « Les jeunes ne se projettent pas à plus d’un an, poursuit Elodie Gentina. Revenir sur l’année écoulée, c’est synonyme de refuge et de stabilité. » « En plus du fonctionnement, le service doit satisfaire des besoins psychologiques, complète Séverine Erhel. Ceux qui y répondent sont mieux acceptés et adoptés par les utilisateurs. »
« Ce n’est pas très dur à imiter »
Mais n’importe qui ne peut pas tenter l’exercice de la rétrospective : « Pour les marques, c’est important d’avoir des valeurs positives à véhiculer », prévient Elodie Gentina. La SNCF, par exemple, angle son récap autour du concept de mobilité douce, et met en avant la quantité de CO2 évitée par les trajets en train par rapport à la voiture. A l’inverse, on se verrait mal partager un récap de son volume d’essence achetée à la pompe, ou du nombre de rouleaux de papiers utilisés. « Cela permet de rassurer l’utilisateur sur ses valeurs, résume l’experte. Il voit son expérience personnalisée alignée avec des tendances sociétales. »
De plus en plus de marques se lancent donc dans la rétrospective, mais le concept en a encore sous la pédale. « Ça a pu être un avantage concurrentiel au début, reconnaît Ahlem Abidi-Barthe d’Ascencia Business School. Très vite, les entreprises qui en faisaient ont été rattrapées car ce n’est pas très dur à imiter ». « Mais on ne voit pas de signal faible autour d’une lassitude, donc on continue de jouer le jeu, confie Marie Perrin de SNCF Connect. » Mais si vous voulez être original, en décembre prochain, partagez plutôt un calendrier de l’avent sur les réseaux sociaux. Là aussi, toutes les marques le font, et au moins, ça donne des idées de cadeaux à mettre au pied du sapin.