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« Spectrum » : Pourquoi envoyer une fusée depuis la Norvège, au-dessus du cercle polaire, est une bonne idée

C’est un petit pas pour le « new space » européen. Le minilanceur Spectrum, de l’entreprise allemande Isar Aerospace, devrait décoller ce jeudi entre 12h30 et 15h30 pour son tout premier vol test. Ce lancement vers l’orbite sera le premier depuis l’Europe continentale, la fusée s’élançant de la base spatiale d’Andoya, une île du nord de la Norvège. Si cette localisation peut paraître surprenante, elle est en réalité très stratégique.

Située à une latitude de 69° nord – au-dessus du cercle polaire –, la base de lancement d’Andoya est bien loin de celles, historiques, de Kourou (Guyane), Cap Canaveral (Floride) ou Baïkonour (Kazakhstan), proches de l’équateur. Cette position permet aux fusées de bénéficier de l’effet de fronde, c’est-à-dire de profiter de la vitesse de rotation de la Terre, plus importante à l’équateur, pour faciliter le décollage et utiliser moins de carburant ou emporter des charges utiles plus lourdes pour la même quantité de carburant. La fusée russe Soyouz, par exemple, « doublait quasiment ses capacités de lancement vers l’orbite géostationnaire » lorsqu’elle partait de Kourou par rapport à Baïkonour, illustre Benjamin Peter, chargé de l’actualité spatiale à la Cité de l’espace de Toulouse.

Un site adapté à l’orbite polaire

Un effet dont ne bénéficiera donc pas la fusée Spectrum, à dessein : « L’orbite visée par [le lanceur] n’est pas une orbite classique, qui épouse à peu près l’équateur et suit la rotation de la Terre, mais une orbite polaire, qui passe par les pôles », explique Benjamin Peter. Isar Aerospace vise en effet des orbites de 90° à 110.6° d’inclinaison par rapport à l’équateur, pour lesquelles « l’effet de fronde n’a aucun intérêt » et « ne fait rien gagner », poursuit le spécialiste.

La base d’Andoya est donc « particulièrement bien positionnée », d’après l’entreprise, pour atteindre ces orbites à forte inclinaison, polaire et héliosynchrone (qui permet des passages au-dessus d’un même point de la Terre à la même heure solaire, permettant de bénéficier des mêmes conditions à chaque passage).

En revanche, si le lanceur, une fois qualifié et opérationnel, commence à viser des orbites moins inclinées, « il faudra des performances plus importantes et ça [n’aura] aucun intérêt d’utiliser une fusée plus performante depuis cet endroit-là », anticipe Benjamin Peter. Isar Aerospace s’est justement rapprochée du Cnes (Centre national d’études spatiales), qui opère la base de Kourou, pour utiliser le site de lancement inutilisé de la fusée Diamant, l’ancêtre d’Ariane, afin que « Spectrum soit utilisée à partir de [la Guyane française] pour gagner en performance ».

Une base existante et reculée

La base spatiale d’Andoya présente un autre avantage majeur : « c’est une base qui existait déjà » avant qu’Isar Aerospace ne s’y installe, pointe le spécialiste du domaine spatial. Le site est utilisé depuis 1962 pour envoyer des ballons-sondes et des fusées-sondes, notamment pour le compte de la Nasa. Un avantage non négligeable à l’ère du développement du spatial privé et de mini-lanceurs en Europe, qui nécessite de « trouver des bases ». Sachant qu’une base implique des infrastructures, notamment des « routes pour y aller, puisque c’est souvent des lieux reculés, des chapes de béton suffisamment solides pour supporter un lancement, des infrastructures pour accueillir le personnel, de l’eau des arrivées de gaz, etc. », énumère Benjamin Peter, « on vise plutôt des bases qui ont existé », ce qui est le cas du centre d’Andoya.

Le centre est d’autant plus adapté qu’il est situé dans un endroit isolé, qui permet de ne pas mettre en danger la population si la fusée retombe ou explose. Un critère indispensable à tout lancement, que chaque site de lancements spatiaux doit impérativement remplir. « Quand on tire vers l’est, ce qui est le cas de la plupart des lancements pour bénéficier de l’effet de fronde [car la Terre tourne d’ouest en est], on le fait souvent depuis des bases qui sont à l’ouest de la mer, comme Kourou ou la Floride », rappelle notre expert, permettant au lanceur de ne pas survoler de terre dans les premières phases de vol. L’autre alternative, représentée par la base de Baïkonour, est d’installer les centres de lancement dans « des zones où on sait qu’il y a très peu de population, complètement préservées ».

Une opportunité pour l’Europe

La base d’Andoya et la minfusée Spectrum présentent aussi un intérêt stratégique pour l’Europe, en lui offrant « un lanceur de plus » capable de répondre à la demande de lancement de petits satellites. « Il y a une miniaturisation des satellites, c’est-à-dire qu’on est allés jusqu’au CubeSat, un satellite de 10 centimètres sur 10 centimètres sur 10 centimètres », décrit Benjamin Peter.

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Cette miniaturisation « fait qu’on a besoin de fusées moins puissantes » et « qu’on vise des orbites plus basses », conduisant notre expert à « imaginer que des constellations de satellites qui sont en train de se créer, européennes, puissent partir sur des minilanceurs ». Ces derniers permettraient de ne pas mobiliser Ariane 6 ou Vega-C, les lanceurs européens lourd et moyen, pour des petits satellites et offriraient une dernière touche de « dynamisme et de réactivité » à l’Europe spatiale, désormais totalement opérationnelle.