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Rumble : le YouTube des complotistes a-t-il de l’avenir ?

Aujourd’hui, Rumble revendique pour la première fois pas moins de 80 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde. Certes, c’est bien moins qu’un Meta qui en comptabilise 3 milliards, mais la fréquentation a augmenté de manière notable : +142% depuis fin 2021. Une statistique encore jamais atteinte par cet « autre YouTube ». Alors pourquoi maintenant ? Une telle plateforme a-t-elle de l’avenir ?

Une audience « déçue »

« Rumble attire une audience qui ne trouve pas ce qu’elle cherche ailleurs, lance Paul Belleflamme, professeur d’économie digitale spécialiste de l’économie des plateformes à l’UCLouvain. Les ‘déçus’ qui se sentent perdus sur les grandes plateformes et cherchent un contenu spécialisé s’y retrouvent, aussi bien les producteurs de vidéos que les spectateurs. C’est ce qu’on appelle une stratégie judo : Rumble s’appuie sur la faiblesse de ses concurrentes trop généralistes pour attirer un public plus ciblé ».

guillement

« Rumble attire une audience qui ne trouve pas ce qu’elle cherche ailleurs »

Par exemple, le documentaire du complotiste d’extrême droite Stew Peters « Died Suddenly » (« Mort subitement »), qui fait le lien de façon empirique et sans données scientifiques entre la vaccination contre le Covid-19 et des décès de personnes jeunes, a été visionné près de 18 millions de fois.

40 millions de dollars de revenus publicitaires

« D’autres plateformes ont essayé, mais Rumble sort du lot grâce notamment à plusieurs donations récentes de mécènes conservateurs américains qui lui permettent de renforcer son marketing », explique Paul Belleflamme.

En dépit de ses contenus polémiques, la plateforme rassemble aussi les publicités de plus en plus d’annonceurs. Une source de revenus qui s’est élevée à environ 40 millions de dollars en 2022. C’est bien moins que YouTube qui a engrangé 30 milliards, mais significativement plus que les réseaux sociaux Gettr, Parler, Gab ou encore Truth Social de Donald Trump. « Plus il y a d’audience et de marques, plus on banalise la plateforme ce qui attire encore davantage d’annonceurs », souligne Paul Belleflamme.

Rumble propose aussi des contenus plus généralistes que l'on peut retrouver ailleurs.
Rumble propose aussi des contenus plus généralistes que l’on peut retrouver ailleurs. ©Copyright (c) 2022 T. Schneider/Shutterstock. No use without permission.

Rumble ne propose pas que des vidéos blacklistées mais aussi des rediffusions, d’émissions télévisées par exemple, que l’on peut trouver ailleurs sur le web. « Je pensais qu’à cause de ces contenus non exclusifs la plateforme finirait par s’éteindre ; mais Rumble semble avoir réussi à regrouper les adeptes de plusieurs autres petites plateformes, note Paul Belleflamme. Toutefois, cela ne peut fonctionner que jusqu’à une certaine taille. Si la plateforme continue de grandir, ses contenus vont forcément devenir plus généralistes : elle risque de perdre une partie de son audience et d’avoir les mêmes problèmes que les grandes ».

Moins bridée que YouTube en Europe

Soulignons qu’en Belgique, Rumble attire de plus en plus de curieux, mais ce sont principalement les conservateurs américains qui sont les premiers utilisateurs. « La plateforme promeut de manière très explicite ses activités en tant qu’internet ouvert et libre, en opposition aux autres plateformes qui sont de plus en plus dans la modération et le contrôle en Europe, analyse Paul Van Cleynenbreugel, professeur de droit européen spécialisé en marchés numériques à l’ULiège. L’Union européenne a en effet instauré le règlement DSA ou ‘Digital Services Act’, qui contraint les plateformes à fortement surveiller leurs contenus sous peine de sévères amendes. Il y a cinq ans, on trouvait certains contenus sur YouTube qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. Le but est de lutter contre la désinformation ».

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« Clôturer en Europe ne serait pas une stratégie économiquement viable »

Refuge de l’ultradroite, notamment américaine, Rumble héberge aussi des comptes de médias russes interdits en Europe, comme RT. Fin 2022, les autorités françaises ont ainsi demandé à la plateforme de mieux contrôler les contenus en lien avec la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. Elle a refusé et stoppé toute diffusion dans l’Hexagone. « Rumble se permet d’agir de la sorte car elle est petite. Avec moins de 45 millions d’utilisateurs européens, elle a moins de contraintes et doit fournir moins d’informations dans le cadre du DSA que des plateformes plus importantes, poursuit Paul Van Cleynenbreugel. Mais si la plateforme continue de grandir, clôturer en Europe comme elle l’a fait en France ne sera pas une stratégie économiquement viable ».

« L’authenticité, point barre »

Aujourd’hui, le complotiste Alex Jones et le suprémaciste blanc Nick Fuentes interdits de YouTube, ou encore Donald Trump, ont leur chaîne sur Rumble. En septembre, après qu’une de ses vidéos a été retirée d’autorité par YouTube car elle contenait des erreurs factuelles sur le Covid-19, l’humoriste et acteur britannique Russell Brand a aussi migré sur Rumble. « C’est vraiment le seul endroit où vous pouvez trouver de l’authenticité, point barre. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs », a martelé le fondateur de la plateforme Chris Pavlovski, lors de la présentation des résultats de l’entreprise début avril.

Entré en Bourse en septembre dernier, Rumble est désormais valorisé 2,8 milliards de dollars à Wall Street.