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Pourquoi être influenceuse ne mène pas à la mort

Valeria Marquez, âgée de 23 ans, a été abattue de trois balles par un faux livreur en plein live le 13 mai 2025. Une enquête Ipsos-BVA révèle que 84 % des victimes de cyberharcèlement sont des femmes.


Valeria Marquez, Maurice Harrison, Mariam Cissé… Ces trois femmes figurent sur une liste tragique qui ne cesse de s’allonger : celle des influenceuses assassinées en 2025. Bien que leurs histoires soient diverses, chacune illustre la violence que peuvent subir les femmes partageant leur vie sur Internet. La mort de Valeria Marquez a choqué le monde numérique le 13 mai 2025. Âgée de 23 ans, elle a été abattue de trois balles par un faux livreur lors d’un direct, devant des milliers d’abonnés.

Début novembre, Mariam Cissé, qui documentait son quotidien à Tonka, au Mali, pour ses environ 136 000 abonnés sur TikTok, a également perdu la vie. Elle a été exécutée publiquement par des djihadistes, qui l’accusaient d’avoir fourni des informations à l’armée malienne sur leur position. Une semaine plus tard, Maurice Harrison, connue sous le nom de Girlalala, a été tuée par son compagnon. Ces trois vies ne représentent qu’une infime partie d’un problème bien plus vaste.

Des femmes punies pour oser exister en ligne

Les créatrices de contenu sur les réseaux sociaux sont particulièrement vulnérables aux violences sexistes. « Dans de nombreuses sociétés, la présence des femmes dans l’espace public, qu’elle soit physique ou numérique, est encore perçue comme une transgression. Elles n’ont même pas besoin d’aborder des sujets politiques : le simple fait d’exister publiquement constitue déjà une forme de contestation », souligne Ketsia Mutombo, cofondatrice de l’association Féministes contre le cyberharcèlement et co-auteure de *Politiser les cyberviolences : Une lecture intersectionnelle des inégalités de genre sur Internet*.

« Il existe une longue histoire de sexualisation, d’infantilisation et de déshumanisation de la participation des femmes à la vie publique », ajoute Sahana Udupa, anthropologue des médias à l’Université Ludwig-Maximilians de Munich. Elle précise que « de nombreuses études politiques et universitaires documentent des cas de harcèlement sexiste facilité par les technologies ». Selon une enquête Ipsos-BVA, 84 % des victimes de cyberharcèlement sont des femmes. Les streameuses sont souvent accusées d’être avides, ou d’utiliser leur physique pour obtenir davantage de dons ou de visibilité, précise Ketsia Mutombo. Par exemple, la créatrice de contenu Léna Situations, en couple avec le youtubeur Seb la Frite, est régulièrement critiquée sur son apparence ou accusée de tromper son compagnon.

Ces fenêtres ouvertes qui exposent les influenceuses

Montages sexuels, « dick pics » non sollicités, vagues de harcèlement… Les influenceuses souffrent de nombreuses violences en ligne. « Les femmes sont les principales cibles et la majorité des attaques proviennent d’hommes. Le numérique aggrave et amplifie des comportements misogynes préexistants », explique Sahana Udupa. Malheureusement, ces comportements peuvent parfois transcender l’écran.

Cela est principalement dû à des raisons pratiques. « Les influenceuses s’exposent de manière plus intense que d’autres femmes. Elles montrent leur intérieur, leurs habitudes, leurs trajets, les lieux qu’elles fréquentent. Les contenus qu’elles produisent permettent de reconstituer facilement des informations sensibles, ce qui les rend plus vulnérables », précise Ketsia Mutombo. En 2022, l’influenceuse Caroline Nicoullaud a été victime d’un cambriolage, à cause de son exposition. Les voleurs ont exploité ses vidéos pour obtenir son adresse et son emploi du temps.

Quand le harcèlement sort de l’écran

Pire encore, « les réseaux sociaux encouragent des relations parasociales très intenses. Certaines personnes ont l’impression de connaître l’influenceuse, de partager une intimité avec elle, alors que cette relation est unilatérale », souligne Ketsia Mutombo. En mai dernier, la streameuse Maghla a déclaré avoir été suivie par un homme jusqu’à son domicile.

Paniquée, elle a finalement déménagé et parle régulièrement de sa peur des relations parasociales. « Dans l’imaginaire masculiniste, une femme qui se montre, qui s’exprime, qui réussit, est considérée comme disponible. Les refus, les limites ou l’autonomie sont perçus comme des offenses personnelles », explique Ketsia Mutombo. En juin 2025, la créatrice de contenus pakistanaise Sana Yousaf a été tuée par un abonné qui n’aurait pas supporté son refus de ses avances et propositions de rencontres. Elle n’avait que 17 ans.

Face à une telle violence, les plateformes doivent « mettre en œuvre une modération responsable » et « cesser d’encourager, à travers leurs algorithmes, les contenus misogynes », martèle Sahana Udupa. Ketsia Mutombo, cofondatrice de l’association Féministes contre le cyberharcèlement, appelle à une constante sensibilisation à « l’égalité des sexes et des genres et à l’importance du féminisme », tout en assurant une visibilité accrue pour toutes ces « femmes épanouies », dans les espaces physiques comme numériques. Une place qu’elles méritent pleinement.