High-tech

Peut-on vraiment se faire congeler pendant des siècles ?

«C’est sûr et certain que la technologie nous permettra de nous réveiller » après avoir été congelé à la suite de notre mort, a déclaré l’influenceur et entrepreneur Anthony Bourbon sur la chaîne YouTube Legend Business. Le jeune homme explique avoir pris « une assurance » et payé « 10.000 euros à vie ou 50 euros par mois » pour être cryogénisé.

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Appelée également cryonie, cette pratique consiste à conserver un corps humain ou des organes à très basse température (-196°C) dans l’espoir de les ramener à la vie lorsque les avancées médicales le permettront. 20 Minutes fait l’état des lieux sur la cryogénisation, cette promesse d’immortalité illégale en France.

Cryonie, cryogénie ou cryogénisation ?

La science sait déjà conserver des cellules simples, comme les gamètes ou les embryons dans le froid. « C’est ce qu’on appelle la cryogénie », explique Marc Roux, président de l’Association française transhumaniste. Cette « pratique médicale reconnue ne dépasse pas les – 150°C, contrairement à la cryonie ou cryogénisation », précise-t-il. « Quelques expériences sur des organismes simples, comme une sur le ver C elegans, ont montré qu’il est possible de cryogéniser, décongeler et maintenir certaines fonctions, comme la mémoire pavlovienne », décrit-il. Mais ces résultats n’ont pas été reproduits sur des organismes plus complexes. « Lorsqu’il s’agit d’êtres humains entiers, nous ne savons pour l’instant ni congeler avec de l’azote liquide sans risque ni décongeler sans dommages » conclut Marc Roux.

Éric Malbos est le seul médecin français formé aux premiers gestes de cryogénisation. Parti à Berlin et en Suisse pour sa formation l’année dernière, il décrit le protocole à suivre. D’abord « ventiler le patient pour oxygéner le cerveau, puis le placer dans un grand bac avec 40 kg de glace pour le refroidir, avec une pompe qui fait circuler l’eau glaciale autour du corps et lui injecter le produit anti-gel ». « Pour que la cryogénisation marche, il faut intervenir très vite pour que le cerveau ne soit pas privé d’oxygène trop longtemps, même si la personne est décédée », alerte Marc Roux. « Le temps est le principal enjeu » confirme Eric Malbos. Il détaille : « Le réseau neuronal doit être préservé pour maintenir l’identité de la personne. »

Alors, est-ce que c’est possible ?

Pour Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, l’efficacité de la cryogénisation est « physiquement impossible ». Le problème majeur réside dans la cristallisation de l’eau, omniprésente dans nos cellules. « À de si basse température, l’eau se transforme en cristaux glace, provoquant une mort cellulaire irréversible », poursuit le médecin. Pour surmonter cet obstacle, les entreprises de cryogénisation injectent des agents cryoprotecteurs, comparables aux antigels utilisés dans les moteurs. Mais ces substances, « toxiques pour l’organisme, nécessiteraient d’être intégralement remplacées après décongélation », notamment par du sang, explique Stanislas Deprez, docteur en philosophie et auteur du livre Le transhumanisme.

Le cerveau, considéré comme le siège de la personnalité et des souvenirs, est souvent au cœur des spéculations cryogéniques. Certaines entreprises, comme Alcor aux Etats-Unis, proposent même des services de conservation uniquement pour la tête, nettement moins coûteux que pour le corps entier. « Cela repose sur l’idée que le cerveau est l’essence de l’individu », souligne Stanislas Deprez. Mais il tempère : « Même si la cryogénisation fonctionne dans un futur lointain, comment espérer guérir un cancer ou une autre maladie mortelle qui aura causé la mort initiale ? »

Une fascination récente pour l’immortalité

L’attrait pour la cryogénisation révèle aussi des transformations sociétales profondes. « Dans nos sociétés occidentales, marquées par la focalisation sur l’individu et par le recul des croyances religieuses traditionnelles, la technologie devient une nouvelle promesse d’éternité », analyse le docteur en philosophie Stanislas Deprez. « Au Moyen Âge, l’espoir résidait dans la résurrection divine. Aujourd’hui, la cryogénie occupe cet imaginaire post-religieux. » « L’idée séduit parce qu’elle joue avec notre peur ancestrale de la mort et notre quête d’éternité », appuie le médecin urgentiste Christophe Prudhomme.

« Le physicien américain Robert Ettinger, premier auteur à théoriser la cryogénie dans L’homme est-il immortel ? défendait que même une chance infime vaut mieux que la certitude de la décomposition », souligne Stanislas Deprez. « Un des arguments les plus valables » pour le spécialiste, qui serait « très surpris que d’ici cent ans, nous ayons fait des progrès suffisants pour permettre de décongeler efficacement les personnes cryogénisées ». Propos partagés par le médecin urgentiste : « Les lois de la physique et de la biologie rendent la résurrection improbable, et pour l’instant, on vend surtout du rêve. »

Malgré ces défis, ce marché prospère. Aux États-Unis, des entreprises comme Alcor et Cryonics Institute attirent des clients prêts à dépenser entre 30.000 et 200.000 dollars pour espérer une résurrection future. En Russie, KrioRus et en Suisse Tomorrow Bio proposent des services similaires. En France, où cette pratique est interdite, des réseaux privés aident les clients à transporter leur corps vers des pays où la cryogénisation est autorisée.