« On s’est fait avoir » : iRobot ne gagne pas la guerre des aspirateurs robots, la Chine comme seul salut.
Gary Cohen, le CEO d’iRobot, a déclaré : « On s’est plantés. » iRobot a été racheté par Picea, une entreprise de Shenzhen, après avoir été « donnée » à ses créanciers pour effacer sa dette.
C’est un moment rare. Un PDG qui vous regarde droit dans les yeux et admet : « Nous nous sommes trompés. » C’est précisément ce qu’a déclaré Gary Cohen. Alors qu’iRobot est désormais sous contrôle chinois pour éviter la faillite, le dirigeant de cette marque emblématique ne s’en remet pas à des excuses. **Retards technologiques, arrogance, prix déconnectés**… iRobot l’explique sans détour.
L’histoire touche à sa fin après une chute vertigineuse. Il y a deux ans, Amazon souhaitait acquérir iRobot pour 1,7 milliard de dollars. L’Europe a opposé un refus. Aujourd’hui, l’entreprise est « cédée » à ses créanciers pour épurer sa dette. Le nouveau propriétaire est **Picea**, une société de Shenzhen. C’est un ODM, le fabricant des robot aspirateurs, et le groupe derrière la marque 3i.
Comment le leader incontesté a-t-il pu tomber aussi bas ? J’ai posé la question à **Gary Cohen**, arrivé à la tête de l’entreprise en mai 2024 dans l’espoir de redresser la situation. Sa réponse est d’une franchise désarmante.
### L’aveu d’échec technologique
Pendant des années, iRobot a été critiqué sur Frandroid pour son entêtement. Alors que tout le marché (Roborock, Dreame, Ecovacs, Xiaomi) adoptait le **Lidar** pour une navigation plus rapide, iRobot s’accrochait à sa caméra.
Gary Cohen ne tourne pas autour du pot : **« Le consommateur ne voulait pas attendre 2 heures que sa maison soit cartographiée par une caméra quand le Lidar pouvait le faire en 20 minutes »**.
C’est brutal, mais c’est la réalité. L’ancien PDG, Colin Angle, est considéré comme un « visionnaire » par Cohen, mais un visionnaire qui a coûté cher. **« Le problème, c’est que ça coûtait trop cher… Et pendant ce temps, la concurrence chinoise sortait des produits plus rapides et moins chers »**.
Une autre erreur fatale a été dans le domaine des nettoyeurs de sols. **« Nous étions en retard à la fête sur les aspirateurs-laveurs »**, reconnaît Gary Cohen. Pendant que l’Europe adoptait massivement des robots « combo », iRobot soutenait qu’il valait mieux deux robots distincts. Ils ont ainsi perdu le marché européen.
De plus, iRobot a cru que la forte demande durant la pandémie de Covid, avec des ventes de robots en forte hausse, constituerait une nouvelle norme. Ils ont donc pensé dimensionner l’entreprise (bureaux, contrats, effectif) pour un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars.
**« L’entreprise pensait qu’elle allait devenir une boîte à 2 milliards de dollars »**, raconte Gary Cohen. Enivrée par ce succès, la direction a signé des baux immobiliers à long terme et recruté massivement. **« J’ai hérité d’une structure de coûts fixes très élevée »**, déplore le nouveau PDG. Lorsque la bulle a éclaté et que les ventes ont chuté, iRobot s’est retrouvée avec des locaux trop grands et des dépenses trop élevées par rapport à son chiffre d’affaires réel, une dure leçon de gestion.
### Pourquoi Picea ? Et pourquoi pas un autre ?
À ce stade, l’histoire devient captivante. iRobot a cherché à se vendre à de nombreux prétendants. **« Nous avons lancé un processus de vente robuste »**, explique Gary Cohen.
Le problème ? **Donald Trump et les taxes douanières.** La menace de droits de douane sur les produits chinois a refroidi les acheteurs potentiels. Personne ne souhaitait acquérir une entreprise dont la chaîne de production était en Chine ou au Vietnam, avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Faute de repreneur, et à court de liquidités (**« Nous aurions dû fermer l’entreprise »**), iRobot s’est tourné vers son partenaire industriel. **Picea** n’est pas qu’une banque. C’est un industriel puissant qui possède déjà la marque ultra-haut de gamme, 3i. Ils détiennent la technologie, l’usine et, désormais, la marque.
### Le plan de bataille : arrêter la course à l’armement
Alors, est-ce la fin pour iRobot ? Pas nécessairement. Le plan de Gary Cohen est de changer radicalement de philosophie. Fini la « Tech d’abord », place au « Consommateur d’abord ».
**« Le consommateur est confus, il ne comprend même pas la moitié de ces fonctions. »**
Il prend l’exemple des concurrents chinois qui s’engagent dans une surenchère de chiffres (les fameux dizaines de milliers de Pa d’aspiration) que personne ne saisit. **« C’est devenu une course à l’armement. « Puis-je mettre deux bras sur mon robot ? Trois bras ? » Le consommateur est confus »**. Il fait référence ici à un aspirateur-robot de Roborock, avec son bras articulé.
La stratégie pour 2026 va changer : simplifier. Résoudre les véritables problèmes.
– Pourquoi le robot est-il si difficile à installer ?
– Pourquoi prend-il tant de place ?
– Comment vendre un robot à un étudiant dans un studio de 20m² ?
Gary Cohen cite l’exemple du Japon, où les stations de vidage massives occupent **« la moitié de l’entrée »**. Il promet des produits adaptés aux petits espaces, prêts à l’emploi.
### Le fantôme de la tondeuse Terra
L’interview a pris un tournant presque tragi-comique lorsque j’ai mentionné les **tondeuses robots**. Dreame, Roborock, Ecovacs… tout le monde s’y met. Et que dire du projet Terra ? Une tondeuse iRobot présentée avec fracas, finalement repoussée, puis annulée.
Gary Cohen a une image frappante pour résumer cet échec : **« J’ai 200 tondeuses mortes dans nos bureaux aux États-Unis. »**
Pourquoi ? Pour la même raison que précédemment : l’incapacité de l’ancien iRobot à produire à un coût raisonnable. **« Nous n’étions pas capables de commercialiser un produit au bon prix, avec les bonnes marges »**, admet le PDG.
Cependant, le rachat par Picea pourrait bien relancer le projet. Gary Cohen ne le cache pas : sa vision dépasse les frontières de la maison. **« Notre vision est d’être plus que des aspirateurs. On regarde à l’intérieur de la maison, et à l’extérieur »**.
Avec l’usine et l’ingénierie de Picea (qui sait produire à bas coût), une tondeuse Roomba pourrait redevenir une possibilité technique et économique. Les **« 200 tondeuses mortes »** pourraient bien avoir des successeurs.
### Bref, iRobot est mort, vive iRobot ?
C’est un pari risqué. iRobot a perdu son prestige technologique et une immense part de marché. Mais en devenant une entreprise privée, déchargée des pressions boursières et rattachée directement à son usine, elle acquiert une agilité qu’elle avait perdue.
**« Dites à tout le monde que nous sommes là pour rester »**, a conclu Gary Cohen avant de mettre fin à l’interview. L’ambition est présente. Mais face à des géants comme Roborock, qui lancent des innovations tous les six mois, iRobot doit impérativement se montrer rapide. Au moins, ils disposent désormais des Lidars. iRobot fera également des annonces lors du CES 2026, un nouveau rendez-vous à suivre.

