« L’Europe cède-t-elle notre industrie automobile à la Chine ? »
La Commission européenne propose de revenir sur l’objectif de « zéro émission » en 2035, permettant ainsi aux moteurs thermiques de survivre sous des conditions réglementaires spécifiques. Si cette proposition est adoptée, les constructeurs automobiles devront réduire de 90 % leurs émissions par rapport à 2021.
Sous la pression de l’Allemagne, la Commission européenne a officiellement proposé de revoir le principe du « tout électrique », offrant ainsi un répit inattendu aux moteurs thermiques à travers une réglementation complexe. Ce revirement politique, présenté comme une démarche pragmatique, semble s’apparenter à un affaiblissement industriel face à la Chine.
La situation actuelle est préoccupante : la Commission européenne a cédé aux demandes allemandes en suggérant de reconsidérer l’objectif essentiel du « zéro émission » d’ici 2035. Si ce texte est adopté tel quel après le processus législatif, il établirait un compromis technique qui **permettrait aux moteurs thermiques de subsister sous un soutien réglementaire**.
Ce projet témoigne d’un triple échec : industriel, environnemental et sanitaire. D’un point de vue industriel, il freine une transition déjà validée par le marché, alors que les ventes de véhicules électriques ont augmenté de 26 % entre janvier et octobre en Europe. En ce qui concerne l’environnement, il retarde la décarbonation nécessaire de nos transports, élément crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, sur le plan sanitaire, les citoyens continueront à respirer un air pollué plus longtemps.
### L’Europe, future championne de l’usine à gaz ?
Il est clair que si cette proposition est adoptée, l’objectif de 100 % de voitures neuves à zéro émission en 2035 serait anéanti. Les constructeurs seraient alors tenus de réduire de 90 % leurs émissions par rapport à 2021. Les 10 % restants ? C’est là que la complexité réglementaire interviendrait.
Pour combler cet écart, l’Europe introduirait des « crédits » fondés sur l’utilisation d’acier vert ou de carburants synthétiques (e-fuels) et de biocarburants. Concrètement, un constructeur pourrait continuer à **vendre des voitures fonctionnant à l’essence ou au pétrole**, tant qu’il prouve avoir utilisé de l’acier à faible carbone.
Cela représenterait une **victoire politique significative pour l’Allemagne** et ses constructeurs historiques, qui cherchent à préserver leurs chaînes de traction thermique et leurs modèles hybrides rechargeables.
Cependant, pour les consommateurs et pour le climat, ce serait un signal confus. Diane Strauss de l’ONG Transport & Environment souligne : « L’**UE a choisi la complexité plutôt que la clarté** ». Ainsi, le secteur continuerait à soutenir artificiellement une technologie obsolète par des mécanismes comptables au lieu de favoriser l’innovation.
Selon T&E, la proposition de la Commission européenne pourrait entraîner une chute de 25 % des ventes de voitures électriques en 2035, à cause des mécanismes de crédits pour l’acier vert et des carburants alternatifs.
### Oublier la géopolitique du pétrole
Ce revirement potentiel est d’autant plus frustrant qu’il néglige l’un des atouts majeurs de la voiture électrique : notre indépendance énergétique. **Conduire un véhicule électrique permettrait de se fournir en électricité provenant de sources « made in France » ou « made in Europe »,** comme nos centrales nucléaires, nos éoliennes ou des panneaux solaires sur nos domiciles. C’est une forme d’autonomie énergétique palpable.
Bien entendu, on pourrait nuancer cette opinion en discutant de l’origine de l’uranium ou des matériaux utilisés pour les panneaux solaires. Cependant, le fait est que le réseau électrique français peut aisément absorber l’augmentation du nombre de voitures électriques, comme le déclarait récemment RTE, sans avoir à importer autant de matières premières qu’avec le pétrole. Cela représente un bénéfice pour notre balance commerciale.
En s’accrochant aux moteurs thermiques, même ceux dits « propres » sur le papier, nous resterions dépendants des chaînes d’approvisionnement en combustibles liquides. La poursuite des importations d’hydrocarbures, souvent en provenance de pays instables ou de régimes autoritaires, constituerait un risque. **En temps de guerre ou de crise, le pétrole représente une faiblesse stratégique majeure. L’électricité locale est un gage de sécurité.**
### La Chine n’attend pas nos débats sur l’acier vert
Alors que Bruxelles et Berlin se disputent sur la proportion de biocarburants à autoriser, la Chine progresse à un rythme impressionnant, soutenue par des investissements de l’État. Cette nouvelle proposition européenne pourrait nous donner l’illusion de gagner du temps, alors qu’**elle pourrait nous faire perdre la course technologique.**
Les chiffres sont éloquents. Des constructeurs chinois tels que BYD ou Zeekr proposent déjà des véhicules capables de se recharger de 10 à 80 % en seulement 7 minutes. En revanche, en Europe, notre modèle phare, la Porsche Taycan restylée, ne peut atteindre cet objectif qu’en environ 14 minutes, grâce à des cellules fournies par le coréen LG.
**Le risque est que le maintien du thermique « détourne les investissements nécessaires envers les véhicules électriques »,** comme l’indique Transport & Environment. Chaque euro investi pour optimiser un moteur à combustion compatible avec les e-fuels est un euro non destiné à la recherche et au développement de batteries solides ou de systèmes de gestion énergétique.
### Comme le train à vapeur avant nous
L’Histoire se répète. Auparavant, nous sommes passés de la vapeur au diesel, puis, inévitablement, à l’électrification totale pour des raisons de performance et d’efficacité. Aujourd’hui, personne ne regrette l’utilisation du charbon dans les locomotives, hormis pour des raisons folkloriques.
L’automobile suit exactement ce même chemin. **La question n’est pas de savoir si nous passerons au tout électrique, mais quand et comment.**
La Commission européenne l’affirme clairement dans le document de synthèse de cette proposition : **« L’avenir est électrique ».** Cependant, ses propositions actuelles semblent indiquer le contraire en offrant une chance aux technologies condamnées.
### Une question de survie ou de dividendes ?
Quel est le motif de ce changement ? Officiellement, cela vise à garantir la « **neutralité technologique** », c’est-à-dire permettre aux constructeurs de choisir leurs technologies tant que les émissions de CO2 sont réduites de 90 %.
En réalité, il s’agit de **protéger les marges à court terme et de sauvegarder l’industrie à long terme.** Les bénéfices générés par le thermique restent intéressants, alors que l’électrique exige des investissements considérables.
C’est là que se situe le véritable problème. Si nos constructeurs ne parviennent pas à suivre le rythme sans compromettre leurs opérations, cela indique un problème structurel. **Est-il nécessaire de continuer à subventionner indirectement des dividendes par le biais de règles assouplies ?**
Si l’automobile est si essentielle, il pourrait être pertinent de repenser la propriété des moyens de production pour encourager la transition, plutôt que de **laisser le marché imposer un rythme trop lent face aux enjeux climatiques.**
Diane Strauss a souligné avec justesse : « **À la fin du 19e siècle, certains pensaient que les automobiles n’allaient jamais remplacer les chevaux.** » Si ce texte est approuvé, nous règlerions la question des écuries alors que des parkings sont construits partout ailleurs. **À ce rythme, l’avenir électrique de l’Europe pourrait s’écrire en mandarin.** Pendant ce temps, Mercedes présente son nouveau modèle hybride fabriqué en Allemagne avec un moteur à essence… produit en Chine. Est-ce une simple ironie ou un véritable mensonge politique et industriel ?
### Les grandes manœuvres politiques ont commencé
Au-delà des considérations techniques, une partie d’échecs politiques se déroule à Bruxelles, avec des enjeux qui pourraient déterminer l’avenir de l’industrie européenne. Manfred Weber, leader du PPE (parti de droite européen), revendique déjà ce recul comme **une victoire personnelle contre l’interdiction des moteurs à combustion.**
Son intention ? Rassembler les socialistes (S&D) autour d’une position « centriste » pro-industrie. Pourtant, ces derniers ne sont pas d’accord : Mohammed Chahim (S&D) critique déjà **un texte qui ralentirait l’électrification et avantagerait surtout… la Chine.**
Le véritable danger réside dans les alliances opportunistes. Après avoir collaboré sur le démantèlement des règles contre la déforestation ou le devoir de vigilance, la droite et l’extrême droite pourraient bien agir ensemble à nouveau.
Les Conservateurs et Réformistes (ECR) estiment déjà que la Commission ne fait pas assez et interpellent le PPE ainsi que les Patriotes pour l’Europe. Si cette coalition conservatrice se confirme au Parlement, l’**Europe risque d’adopter une stratégie industrielle dictée par des considérations politiques rétrogrades plutôt que par l’urgence climatique et technologique.**
### Les bonnes nouvelles de cette proposition
Cette proposition n’est pas entièrement négative et la Commission mérite d’être reconnue pour ses quelques idées lucides qui pourraient éviter le pire.
Tout d’abord, Bruxelles se penche enfin sur un enjeu majeur : les voitures de fonction. Le texte propose des quotas pour les grandes entreprises, avec un objectif de 80 % de véhicules électriques dans les flottes en France d’ici 2035. T&E salue cette mesure de bon sens : ces entreprises doivent être les premières à effectuer la transition, permettant de proposer ensuite des modèles plus abordables sur le marché de l’occasion.
En outre, une lueur d’espoir réside dans le soutien aux petites voitures électriques. La création d’une catégorie dédiée accompagnée de « super-crédits » (comptant pour 1,3 voiture dans le bilan des émissions de CO2) pourrait encourager nos constructeurs à développer des citadines abordables « made in Europe » à environ 15 000 euros, plutôt que de se concentrer sur des SUV haut de gamme.
Enfin, la stratégie « Battery Booster », bien que critiquée pour son manque de financement additionnel, existe pour tenter de sécuriser notre filière de batteries face à la concurrence asiatique.

