High-tech

La Gironde, nouveau « hub » pour les acteurs du new space.

La Gironde abrite une grande partie des entreprises privées dédiées à l’accès à l’Espace, notamment autour d’ArianeGroup, qui possède trois sites près de Bordeaux où sont fabriqués le lanceur Ariane 6 et le missile balistique M51, avec environ 4.000 salariés dans le secteur spatial. Le lundi 30 octobre 2023, HyPrSpace a levé 21 millions d’euros pour poursuivre le développement de son moteur hybride et prévoit le premier vol de son lanceur suborbital, Baguette One, à partir d’un site de la DGA à Biscarrosse ou sur l’Ile du Levant, fin 2026.

La Gironde est-elle en train de devenir le centre névralgique du « new space » en France ? En tout cas, elle regroupe une grande majorité des entreprises privées œuvrant dans le domaine de l’accès à l’espace, incluant les lanceurs et les véhicules spatiaux.

Ces startups sont en interaction avec un acteur historique du secteur spatial, ArianeGroup. Ce géant français possède trois sites à proximité de Bordeaux, où une part significative du lanceur Ariane 6 et du missile balistique M51, utilisé par les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), est fabriquée. En tout, environ 4 000 salariés sont employés dans le secteur spatial dans le département.

Cocorico pour « Baguette One »

Jeudi, la société The Exploration Company a ouvert un nouveau site opérationnel au Haillan, près de Bordeaux, signalant ainsi « une étape majeure dans la montée en puissance industrielle de l’entreprise en France et en Europe ». Cette usine comprend 5 000 m² dédiés à la production et au stockage, ainsi que 2 500 m² de bureaux, afin de « faciliter l’accélération du développement de Nyx », un projet de capsule spatiale modulaire et réutilisable conçue pour transporter du fret vers et depuis l’orbite terrestre basse.

Lundi dernier, une autre start-up girondine du new space, HyPrSpace, basée à Saint-Médard-en-Jalles, a réalisé une levée de fonds de 21 millions d’euros. « Elle vise à poursuivre le développement, les essais et la qualification de notre moteur hybride [propulsion solide et liquide], pour aller jusqu’au premier vol de notre lanceur suborbital, Baguette One. Il sera tiré depuis un site de la DGA (Direction générale de l’armement)-Essais de missiles, fin 2026, à Biscarrosse ou sur l’Île du Levant », a déclaré à 20 Minutes Sylvain Bataillard, directeur et cofondateur d’HyPrSpace. Ce sera la première société privée à faire décoller une fusée depuis un site de la Défense, avant qu’HyPrSpace n’opère ses lancements orbitaux depuis Kourou en Guyane en 2027.

« Il y a eu un changement de modèle dans l’Espace »

HyPrSpace a pour objectif de créer un mini-lanceur permettant à ses futurs clients, civils et militaires, d’envoyer des satellites à basse altitude. « L’enjeu est d’apporter une solution intermédiaire aux gros lanceurs comme Ariane 6, en étant plus réactifs et en lançant des objets plus légers que les gros satellites », explique Sylvain Bataillard. Les lancements orbitaux transporteront de petits satellites jusqu’à 250 kg, tandis que ceux suborbitaux seront dédiés à des missions « d’expérimentation en microgravité pour de la recherche scientifique, de la qualification de composants technologiques ou encore des tests de réentrée atmosphérique ».

« Il faut bien comprendre qu’il y a eu un changement de modèle dans l’Espace », poursuit le directeur. « Il y a quinze ans, on lançait majoritairement de gros satellites pesant 10 tonnes et coûtant jusqu’à 1 milliard d’euros, en géostationnaire [à 36 000 km d’altitude], avec une durée de vie très longue. Aujourd’hui, nous sommes plutôt orientés vers un modèle de constellation, avec de nombreux petits satellites, plus près de la Terre, moins coûteux, et facilement remplaçables. L’un des problèmes des satellites géostationnaires est qu’ils deviennent rapidement obsolètes à cause des évolutions technologiques, alors qu’avec des constellations, on peut les remplacer progressivement. »

Le Vortex de Dassault nourri à la Bentobox ?

Un autre acteur majeur du new space dans le département est Space Cargo Unlimited, qui développe une plateforme, la BentoBox, capable d’embarquer diverses unités de production dans l’espace pour réaliser des expérimentations, notamment destinées à l’industrie pharmaceutique. À terme, elle ambitionne de créer une micro-usine spatiale, Rev-1. Space Cargo Unlimited a signé cette semaine un partenariat avec Dassault pour intégrer la BentoBox à son projet de véhicule spatial, le Vortex (Véhicule orbital réutilisable de transport et d’exploration).

Parmi les autres startups innovantes du new space en Gironde, on mentionne AgenaSpace, qui propose un module de propulsion non pas pour les lanceurs mais pour les satellites, afin de leur permettre d’atteindre leur orbite de manière précise et de se déplacer, notamment en cas de menace. Leoblue, pour sa part, développe une technologie dérivée de l’Enseirb-Bordeaux qui permet d’éviter les réseaux de communication terrestres et d’envoyer des messages directement depuis des satellites vers des smartphones, particulièrement en cas d’alerte lors de catastrophes naturelles ou sanitaires.

« Aujourd’hui, l’Europe bénéficie d’un accès autonome garanti à l’Espace grâce à Ariane 6 et Véga-C. Mais il est crucial de maintenir ces lanceurs compétitifs, tâche à laquelle s’attelle Ariane Group, et de les compléter par une offre de petits lanceurs qui incorporent les technologies nécessaires, ce que mettent en œuvre ces acteurs privés », résume Maud Pawlowski, directrice de Way4Space, un centre d’innovation spatiale basé à Saint-Médard-en-Jalles, créé à l’initiative de différents acteurs publics et privés.

Ces petits lanceurs intéresseront particulièrement les clients souhaitant « envoyer un satellite où ils le désirent, quand ils le veulent », ajoute François Buffenoir, directeur technique de Way4Space. « Cela est particulièrement vrai pour les acteurs de la défense, qui ne souhaitent pas nécessairement que leur satellite partage la coiffe d’un gros lanceur embarquant d’autres objets. »

L’enjeu « n’est pas de concurrencer Space X »

Concernant les prix, le directeur d’HyPrSpace estime que ses coûts commerciaux seront « autour de 20 000 dollars le kilo » (soit un peu plus de 5 millions de dollars pour l’envoi d’un satellite de 250 kg), tandis que son concurrent américain RocketLab « est plutôt aux alentours des 50 000 dollars le kilo ». Les gros lanceurs tels qu’Ariane 6, capables de transporter plusieurs satellites, sont évidemment moins coûteux au kilo. Space X, qui peut charger des dizaines de satellites, parvient même à faire baisser ces coûts jusqu’à « 6 500 dollars le kilo, ce qui est imbattable », assure François Buffenoir. « C’est le même principe que le bus et le taxi », complète Sylvain Bataillard : « le taxi sera toujours plus cher, mais vous êtes seul dedans et pouvez partir quand vous le souhaitez. »

Il n’est cependant « absolument pas question de concurrencer Space X, qui est le plus grand acteur spatial mondial aujourd’hui et réalise un lancement quasiment tous les deux jours », précise François Buffenoir avec un sourire. « À l’heure actuelle, les entreprises souhaitant lancer un satellite font la queue chez Space X », confirme Sylvain Bataillard. « Nous, nous estimons que nous pourrons effectuer une quinzaine de lancements par an, ce qui sera en adéquation avec notre marché. »

« Notre défi, en France et plus largement en Europe, est, selon François Buffenoir, de continuer à stimuler l’innovation pour demeurer compétitifs et exister face aux États-Unis et à la Chine. »