Investiture de Trump : Genre, immigration, climat… Pourquoi de plus en plus d’assos en ont ras le bol de X
Quitter X le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump. Dans une tribune, 87 associations et syndicats français ont annoncé leur volonté de ne plus être présent sur le réseau social appartenant à Elon Musk, qui occupera un rôle important dans la nouvelle administration Trump.
La fondation Emmaüs, le Réseau action climat, le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (Mrap), la Cimade, France Terre d’asile lâchent ainsi X, « devenu une immense toile d’intox et de préjugés », ont écrit ces assos dans un texte paru sur le site du Monde le 14 janvier.
Absence de modération, théories complotistes et climatosceptiques
Sont mis en cause l’absence de modération, le paramétrage des algorithmes favorisant la prolifération des contenus haineux et la circulation de théories complotistes et climatosceptiques. La Cimade, qui défend les droits des personnes réfugiées, s’alarme ainsi des discours de haine contre les personnes migrantes, des « fantasmes de submersion migratoire » qui se propagent avec ce type de fonctionnement.
« Le sujet des migrations est instrumentalisé comme un épouvantail pour attiser la peur et les divisions dans les sociétés », souligne auprès de 20 Minutes Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade. Elle indique qu’à chaque fois que le rôle des associations d’aide aux migrants est mis en cause par des politiques, il est devenu récurrent de voir des campagnes d’agression, voire de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux.
« X représente un risque systémique pour la démocratie »
Pour ces assos de lutte contre l’exclusion, de défense des droits humains et de l’environnement, il est de leur devoir « d’opposer des récits positifs, inclusifs et fondés sur le réel, la vérité » en dehors de X. C’est là, la dernière initiative d’un mouvement plus général de migration des utilisateurs de X vers d’autres réseaux sociaux. En décembre, le collectif transpartisan HelloquitteX, composé de chercheurs, journalistes, développeurs, a lancé un outil pour permettre aux internautes d’abandonner X, qui compte 500 millions d’utilisateurs.
Le collectif est né en novembre après l’élection de Donald Trump et le soutien clairement affiché d’Elon Musk, qui a multiplié depuis les ingérences en soutenant l’extrême droite en Allemagne par exemple. « Le problème, c’est que X est désormais instrumentalisé jusque dans l’algorithme à des fins politiques par son propriétaire et représente un risque systémique pour la démocratie », explique le mathématicien David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et membre du collectif.
La volte-face de Meta
Dans une étude, le chercheur a montré, avec d’autres collègues, que le Fil pour vous de Twitter est « complètement biaisé en direction des contenus dits toxiques, qui comportent des attaques personnelles, des insultes, du harcèlement etc. ». Mais la volte-face de Mark Zuckerberg, qui s’aligne sur les positions d’Elon Musk, alerte aussi les associations.
En janvier, le propriétaire de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Threads) a annoncé tour à tour assouplir sa politique de modération, supprimer le fact checking aux Etats-Unis, mettre fin au programme favorisant la diversité du personnel, tous ciblés par l’extrême droite et les conservateurs.
Un large éventail d’insultes autorisé
Dans une vidéo le 7 janvier, Mark Zuckerberg mentionnait spécifiquement vouloir supprimer des restrictions sur les contenus portant sur l’immigration et le genre, « déconnectées du discours dominant », selon lui. Un document interne, révélé le 9 janvier par le site d’investigation The Intercept, donne des exemples de cette nouvelle politique de modération, qui autorise un large éventail d’insultes, de propos déshumanisants ou d’appels à l’exclusion des femmes et des personnes LGBT+.
Sous couvert de permettre davantage « de liberté d’expression », il sera désormais possible d’écrire que « les immigrants sont des sales merdes », que « les gays sont des monstres », « les personnes trans des malades mentaux », les femmes des « objets domestiques »…
Poursuivre la réflexion pour quitter Meta
Les assos vont-elles bientôt quitter Instagram, Facebook ou Threads ? « Bien sûr, les propos de Mark Zuckerberg nous inquiètent aussi, poursuit Fanélie Carrey-Conte de la Cimade. Ce qui est en train de se passer avec d’autres acteurs de la tech risque de nous pousser à devoir continuer cette réflexion. »
Un chemin que suit également Toutes des femmes, qui a pris la décision de quitter X le 13 janvier. L’association féministe, qui lutte contre la transphobie et pour les droits des femmes, a dénoncé « les nouvelles politiques de modération misogynes et transphobes » de Mark Zuckerberg.
« Une nouvelle manière d’exclure des espaces en ligne les personnes LGBT »
Sur X, l’absence de modération et la viralité des contenus haineux ont été « une nouvelle manière d’exclure des espaces en ligne les personnes LGBT, relève Niléane Dorffer, la porte-parole de l’association. Si vous n’êtes plus en sécurité parce que vous êtes trans sur X, vous allez finir par quitter X ou ne plus vous en servir autant. » Pour les associations, prendre la décision de quitter X a un coût en termes de visibilité, puisque les médias ou personnalités politiques y sont encore présents. Mais un point de rupture a été atteint.
« Ce choix n’est pas évident, mais on n’est pas condamné à accepter un espace qui s’est transformé, dans lequel les dés sont pipés, abonde Fanélie Carrey-Conte. Il n’y a pas de possibilité de faire entendre une autre voix, parce que tout est paramétré pour promouvoir l’agressivité, le clash, le sensationnalisme. » Quelle alternative alors ? Bluesky et Mastodon font partie des réseaux décentralisés vers lesquelles la migration se poursuit, les assos évoquent aussi une publication plus systématique de leur communication sur leur site Internet.
Notre dossier sur l’investiture de Donald Trump
Plus largement, c’est la dépendance aux géants américains de la tech qui est remise en cause. « Il y a un enjeu politique à se détacher des plateformes américaines tenues par l’extrême droite, ajoute Niléane Dorffer. Toutes des femmes, comme beaucoup d’associations de lutte contre les discriminations, souhaitent quitter X depuis longtemps. Là, c’est possible car il y a un mouvement collectif qui est fort le 20 janvier. » Pour elle, quitter Instagram ou Facebook ne pourra se réaliser que dans les conditions d’un mouvement plus général de la société, incluant de grandes organisations, des médias ou des personnes politiques.