Facebook va-t-il suivre la voie de Twitter et devenir inutilisable ?
C’est la conclusion d’un lent revirement. Meta, l’entreprise américaine de Mark Zuckerberg, propriétaire de Facebook, WhatsApp et Instagram, a annoncé mardi plusieurs changements dans sa politique. Les partenariats avec des journalistes de fact-checking, qui vérifiaient certaines publications virales de la plateforme, vont prendre fin aux Etats-Unis. Dans un message vidéo, il indique aussi revenir sur certaines politiques de modération sur des sujets comme l’immigration et le genre, « qui se voulaient à l’origine inclusives, mais qui ont été utilisées pour étouffer des opinions contraires ».
A quelques jours de l’investiture de Donald Trump, celui qui soutenait la candidature du camp démocrate à la présidentielle américaine de 2020 semble rentrer dans le rang, en rejoignant d’autres figures américaines de la tech. « Mark Zuckerberg et Meta étaient jusque-là plutôt les bons élèves de la modération, commente Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Panthéon-Assas et auteur des Nouvelles lois du Web, modération et censure. Aujourd’hui, ils expriment un ras-le-bol de la pression du côté démocrate, et un rejet de leurs politiques de régulation. » Le patron sent aussi le vent tourner. « Il y a une volonté dans la société américaine d’aller vers moins de régulation de la parole publique », avance l’expert.
Un impact limité en Europe
Pour remplacer les dispositifs de fact-checking, Mark Zuckerberg a évoqué un système de vérification utilisable par tous les usagers, similaires aux « notes de la communauté » sur X. « Le principe n’est pas insensé, le fact-checking collaboratif peut fonctionner », reconnaît Romain Badouard. En revanche, « il faut s’attendre à une augmentation des discours radicaux et de la polarisation sur la plateforme, lance-t-il. Il y aura sûrement davantage de contenus extrêmes. »
Le phénomène devrait toutefois être moins visible dans l’Union européenne. « Depuis deux ans, le Digital Service Act [DSA] impose des règles aux grandes plateformes numériques, notamment en matière de modération, rappelle Romain Badouard. Si elles veulent avoir accès aux marchés européens, elles devront continuer à remplir ces conditions. » Les équipes de modération étant segmentées par région et par langue, Meta pourrait drastiquement réduire ses équipes anglophones, tout en en conservant une pour les pays européens, au moins dans un premier temps. « De toute façon, les géants du Web ont de plus en plus recours à l’IA pour la modération. » En 2021, Mark Zuckerberg avait lui-même expliqué que 95 % des propos haineux étaient signalés par l’intelligence artificielle.
Facebook déjà en perte de vitesse
Face à un risque de propos plus violent et d’une dégradation du service, Facebook peut-il suivre une trajectoire semblable à X après son acquisition par Elon Musk ? De nombreux utilisateurs signalent leur mécontentement avec le réseau social, et des initiatives, comme HelloQuitteX, prennent forme pour passer les internautes à adopter d’autres réseaux sociaux, Bluesky en tête. « Comme sur X, il pourra y avoir des migrations. Après, qui y participe et sont-elles vraiment durables ?, nuance Romain Badouard. Si ce sont des personnes qui, de toute manière, n’étaient plus actives, l’impact est limité. »
Cela dit, ce ne sont pas ces annonces qui vont changer la face de Facebook. Le réseau social est loin de sa gloire d’antan, et s’il est encore utilisé pour quelques conversations, des groupes de quartiers et des « Neurchi », groupes où l’on s’échange des memes pas drôle, il est surtout envahi de publicités vidéos, d’arnaques et de contenus générés par IA. « Facebook est en perte de vitesse en Europe et aux Etats-Unis, ce qui implique aussi moins de contenus produits par les utilisateurs. La suppression de la modération ne va pas y changer grand-chose, confirme Romain Badouard. Mais le nombre d’utilisateurs reste croissant dans les autres régions, et il s’agit toujours du réseau social le plus utilisé au monde. »
Notre rubrique By The Web
Ce changement de politique de Meta risque aussi d’inquiéter certaines institutions et associations. « La défense de la liberté d’expression absolue, cela se traduit toujours par plus de violence, et c’est devenu le cheval de bataille de l’extrême droite, y compris en Europe », insiste Romain Badouard. Avant de suggérer une alternative : « Plutôt que de chercher à réguler, il faut aussi s’interroger sur le besoin de créer des réseaux sociaux alternatifs. » Même si la bonne volonté et l’amour de son prochain n’ont jamais payé les serveurs d’un réseau social.