High-tech

Écrire sa biographie avec un outil d’intelligence artificielle.

Baptiste Jeauneau, âgé de 21 ans, a fait appel à l’intelligence artificielle pour créer un récit de vie à partir de témoignages, souvenirs et photos de proches pour le 50ème anniversaire de sa mère. L’application Elefantia, lancée il y a un peu plus d’un an, est déjà utilisée par 8.000 utilisateurs et a permis l’impression d’environ 500 biographies.


Il souhaitait offrir à sa mère un cadeau « à la hauteur de sa vie » pour ses 50 ans. Maîtrisant bien les codes, Baptiste Jeauneau a décidé de recourir à l’intelligence artificielle. À 21 ans, il a d’abord rassemblé des témoignages, souvenirs et photos de ses proches. L’IA a ensuite mis en forme ces éléments pour créer un récit de vie qu’il juge « cohérent ». La surprise a manifestement bien fonctionné : « Ma mère a pleuré en lisant le livre, raconte-t-il. En voyant tant d’émotions, je me suis dit que cette idée devait dépasser le cadre familial. »

C’est ainsi qu’est née My Wai, une start-up lancée il y a quelques semaines par cet étudiant en master à la Rennes School of Business. Alors que l’intelligence artificielle s’infiltre progressivement dans tous les aspects de notre vie, ce jeune autoentrepreneur souhaite l’utiliser au service de la mémoire humaine. Son objectif est de « démocratiser la biographie », car chaque individu, même sans être célèbre, a une histoire qui mérite d’être racontée.

Pour laisser une empreinte et transmettre leur histoire, certains se dirigent vers des écrivains publics qui transforment la vie d’anonymes en romans. Cependant, cette approche peut coûter jusqu’à 5.000 euros, selon le temps requis. Avec les avancées de l’intelligence générative, plusieurs start-ups se sont lancées sur ce marché émergent des biographies et récits de vie alimentés par l’IA, telles que My Wai, mais aussi Life Story AI ou Elefantia.

Pour collecter les informations de base de l’écrit, chaque start-up a sa propre méthode : dépôt de souvenirs par des proches ou interrogation orale ou écrite. « On commence par une dizaine de questions générales pour comprendre et définir les grands chapitres de la vie ; les questions deviennent ensuite plus précises et personnalisées », précise Thierry Moncorger, cofondateur d’Elefantia. L’IA intervient alors pour retranscrire les échanges, organiser le récit et le structurer en chapitres, généralement dans un ordre chronologique. « L’IA n’invente rien, affirme Baptiste Jeauneau. Tout provient du récit de la personne, et l’IA aide ensuite à la rédaction et à la mise en forme. »

Lancée il y a un peu plus d’un an, l’application Elefantia compte déjà 8.000 utilisateurs et a permis l’impression d’environ 500 biographies. Ces livres peuvent être offerts, par exemple, pour un anniversaire ou un départ à la retraite. Souvent, c’est la personne elle-même qui souhaite partager son histoire. « Nous avons bien sûr des seniors et travaillons avec des EHPAD, confie Thierry Moncorger. Mais nous avons également une clientèle plus jeune, notamment des femmes de 35 à 50 ans désireuses de raconter des épreuves de la vie telles que des deuils, des divorces ou des parcours de gestation pour autrui. Il s’agit davantage d’écriture cathartique. »

Au final, le client reçoit son livre imprimé pour moins de cent euros, avec un coût supplémentaire en fonction du tirage. En option, Elefantia propose l’assistance d’un étudiant en lettres pour aider les seniors à maîtriser l’outil IA. « La présence d’un accompagnant permet aussi de libérer la parole », indique le cofondateur de la start-up, fondée à Saint-Malo.

Ce bouleversement posé par l’IA générative suscite des inquiétudes au sein de la communauté des écrivains publics. Fin mai, l’Académie des écrivains publics de France a d’ailleurs examiné cette question délicate, qui menace clairement leur métier. Certains intègrent même l’IA en tant qu’assistance pour des tâches répétitives ou pour la rédaction de leurs récits. « Ce qui fait notre valeur ajoutée, c’est l’échange et le contact humain, et aucune machine ne pourra remplacer ça », assure Delphine Berthon, écrivain public près de Rennes.

Plus qu’un simple rédacteur, elle reconnaît que les entretiens avec ses clients peuvent ressembler à des séances de thérapie. « Ils me partagent parfois des choses intimes qu’ils n’ont jamais révélées à personne. Et ça, l’IA ne pourra jamais le capter. »