Chez Amazon, la machine soulage les employés mais il y aura « toujours besoin d’un cerveau humain »

De notre envoyé spécial à Dortmund (Allemagne),
Palmarès de Dortmund : une ville allemande grise de la vallée de la Ruhr, avec un mur jaune aux couleurs d’une équipe de foot qui a gagné une Ligue des champions il y a vingt-huit ans, et c’est un peu tout. Mais bientôt, elle pourra se targuer d’un autre succès, à la pointe de la tech cette fois-ci : accueillir « l’agence de livraison du futur » d’Amazon. L’entreprise d’e-commerce a choisi ce site pour mettre en avant ses nouveautés technologiques.
Dans une zone mi-industrielle, mi-champêtre à une quinzaine de minutes du Signal Iduna Park du Borussia Dortmund, un immense hangar accueille une agence de livraison d’Amazon qui sert de test pour les innovations sorties de ses laboratoires, comme celui de Milan en Italie. La star de la visite, c’est un robot. Il a beau ne pas avoir de tête humanoïde, il a un petit nom – Vulcan – et un sens du toucher qui complète son système de reconnaissance visuelle. Un bras mécanique et une pince préhensible lui permettent de prendre ou de ranger les objets de formes diverses, et pas seulement des boîtes en carton, sur les étagères de stockage. « Vulcan travaille par exemple en priorité sur les étagères les plus hautes, qui sont plus souvent vides car plus difficiles à remplir pour les humains », détaille Nick Hudson, l’un des scientifiques d’Amazon derrière ce projet.
Les salariés restent meilleur à Tetris
Lors de cette visite organisée par l’entreprise, l’automatisation reste présente à toutes les étapes. Ça commence par « Tipper », une nouvelle méthode pour balancer les colis sur les tapis roulants. Plus besoin d’humain, la machine bascule les paquets sur les tapis roulants, lit le code-barres qui indique la destination du produit. Machine pour l’envoyer sur le bon tapis roulant, machine pour faire venir le bon sac qui sera remis aux services de livraison : tout est machine.
On en vient à se demander s’il y aura encore besoin de vraies personnes dans les agences de livraison dans dix ans. « Il y aura toujours un élément humain, assure Chris Harris, directeur de l’ingénierie logistique chez Amazon. Certaines missions comme la résolution de problèmes demandent un cerveau humain, tout comme des tâches qui nécessitent beaucoup de dextérité. » Pour jouer à Tetris avec les paquets et remplir les sacs de livraison au maximum, par exemple, les employés sont encore meilleurs que les machines.
Plus de productivité et moins d’accidents
Mais ces robots présentent quand même des avantages. Un gain de productivité tout d’abord. « Un employé assisté par un robot Vulcan l’est jusqu’à trois fois plus, détaille Nick Hudson. Les robots de tri en eux-mêmes sont aussi rapides qu’une personne, mais, comme les humains auront moins besoin d’aller chercher des objets sur les étagères les plus hautes, on peut être en moyenne 5 % plus rapide sur tout le site. » Rapporté au nombre de colis traités par une agence de livraison – entre 20.000 et 60.000 par jour –, le gain n’est pas négligeable.
Autre avantage des robots : leur présence permettrait d’améliorer la santé des employés. Depuis 2019 et leur déploiement de plus en plus large sur les sites Amazon, l’entreprise affirme avoir enregistré 65 % d’arrêts de travail liés à des accidents, affirme Sarah Roads, vice-présidente santé et sécurité. Ils réduisent le risque de chutes puisqu’il y a moins besoin d’aller chercher des colis en hauteur, les troubles musculosquelettiques liés aux gestes répétitifs ou à des prises inconfortables et même les kilomètres à pied parcourus sur le site.
Troc de « tâches variées » contre « tâches répétitives » ?
Un premier pas, mais qui ne va pas complètement faire disparaître la pénibilité au travail, selon Clément Duret, responsable du service des pathologies professionnelles à l’AP-HP. « On va spécialiser les postes, avec des stations de travail de mise en place sur le tapis avec une cadence élevée par exemple. » Substitués au port de charges lourdes, les gestes légers mais répétitifs et rapides développent d’autres troubles musculosquelettiques : arthrose, syndrome du canal carpien… « Supprimer ces tâches lourdes reste nécessaire, mais il ne faudrait pas que la logique de rendement du XXIe siècle troque des tâches variées contre des tâches répétitives », avertit Clément Duret.
Autre facteur : les risques psychosociaux, que l’on retrouve dans la peur de voir son emploi remplacé ou même dans le remplacement des interactions avec ses collègues. « Le danger, c’est de se retrouver à des postes où on est seul, avec le sentiment d’être soumis à une pression non humaine, qui ne prend jamais de pause et avec qui on ne peut pas négocier », redoute le médecin. On a demandé à Vulcan s’il comptait au moins installer une bonne ambiance au travail, mais il n’a pas trouvé les mots pour nous répondre.