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« ChatGPT peut apporter du soulagement et de l’efficacité aux petits éditeurs »

« Ça ne sert à rien de lutter obstinément contre la mutation numérique. Il faut apprendre à apprivoiser cette bête sauvage apparue dans l’horizon éditorial”, soutient d’emblée Benoît Dubois, directeur de l’Association des éditeurs belges (ADEB). En faisant le point sur la numérisation du livre, il explique que les deux formats d’avenir sont actuellement les livres audio et les podcasts. “En plein boom”, ces deux domaines “demandent toutefois des investissements colossaux pour les éditeurs s’ils veulent avoir des produits de qualité. Il faut être sûr d’avoir un marché suffisamment grand pour pouvoir les amortir”.

La mutation numérique ne se manifeste donc pas nécessairement au niveau des livres numériques, qui “ne représentent que 4 à 5 % des parts de marché sur la totalité de l’activité éditoriale en Belgique.” Le seul secteur où ce format croît considérablement est l’édition de savoirs (plateformes scolaires, bases de données juridiques, etc.), où les e-books représentent “20 à 25 % de la production”.

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Une place pour les petits acteurs

Avec le numérique, le directeur de l’Association des éditeurs observe également de grands développements dans l’impression à la demande : c’est au moment où l’acheteur commande son livre en ligne que l’éditeur procède à son impression et son expédition. Il y a trois ans, ce système n’était rentable que pour les tirages inférieurs à 250 exemplaires, contre 1 200 aujourd’hui. “Ce changement économique n’est pas anodin parce qu’il ouvre beaucoup de perspectives d’un point de vue rentabilité pour les éditeurs : ils peuvent désormais se permettre d’avoir des stocks très limités et imprimer juste ce qui est nécessaire au moment où les livres sont commandés, ce qui est beaucoup plus écoresponsable et moins gourmand en capital pour l’entreprise.” En plus de pouvoir proposer une personnalisation des ouvrages, l’impression à la demande représente l’avantage de relocaliser l’imprimeur, “alors que beaucoup d’éditeurs allaient en chercher beaucoup plus loin”.

Une dernière opportunité à saisir grâce au numérique est la vente directe en ligne, estime Benoît Dubois. “Les sites permettent même aux acteurs les plus petits d’avoir accès au marché. En Belgique, il y a quand même beaucoup d’éditeurs de petite taille qui en vivent, et parfois très bien, au lieu de rester dans l’ombre des grands éditeurs français.

Benoît Dubois, directeur de l'ADEB.
Benoît Dubois, directeur de l’ADEB. ©Aurore Delsoir

La menace d’Amazon et des pirates

Si le directeur de l’ADEB “préfère voir les opportunités”, il concède que la dématérialisation du livre facilite le piratage. “Sur les derniers mois, on a vu des signes de piratage assez inquiétants, notamment avec le fameux site Z-Library qui pirate des dizaines de milliers de titres. Même nos éditeurs de taille moyenne, comme Mardaga ou Casterman, retrouvent leurs ouvrages piratés sur ces sites. Le monde de l’édition est très attentif à cette question-là. Il a vu l’industrie musicale s’effondrer en très peu de temps dès que la dématérialisation s’est fait jour.

Par ailleurs, avec la mutation numérique “des acteurs très puissants peuvent remplacer facilement et de manière très agressive tous les acteurs de la chaîne. Il y a par exemple Amazon qui ne se contente plus d’être une librairie en ligne mais qui propose également d’être l’éditeur d’auteurs qui n’en trouvent pas.” Benoît Dubois explique que certains éditeurs scientifiques français ont confié la totalité de leur stock au géant du commerce en ligne qui est ainsi devenu leur lieu de distribution.

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Ce n’est pas tout : “On va aussi retrouver Amazon dans la production de titres grâce à certains systèmes de production automatique, je pense ici à ChatGPT ou des équivalents. Des tests ont notamment été réalisés pour les mangas. Au niveau technique, c’est concluant.” Mais au niveau de l’édition, va-t-il y avoir autant d’acheteurs d’un livre réalisé par ChatGPT ? “Je pense qu’il peut y avoir une place pour les productions de vulgarisation, étant donné que dans l’édition, on peut retrouver des livres de ce genre qui sont d’un niveau assez moyen.

« Je préfère voir les choses positivement, l’intelligence artificielle peut être un outil”, conclut Benoît Dubois. “ChatGPT peut apporter du soulagement et de l’efficacité aux petits éditeurs qui ont du mal à rédiger leur communiqué de presse, leur quatrième de couverture ou leur propre catalogue. Il faut apprendre à vivre avec plutôt que de faire comme si ça n’existait pas.