« Assassin’s Creed Shadows » : Mais pourquoi le héros Yasuke est-il la cible de l’extrême droite ?

Le héros d’Assassin’s Creed Shadows doit aussi mener bataille sur Internet. Depuis sa présentation dans un trailer l’été dernier, Yasuke, le samouraï noir que l’on incarne dans le Japon féodal, suscite les critiques d’une minorité des internautes, souvent affiliée à l’extrême droite. Des reproches qui s’inscrivent dans une tendance plus large de rejet de la diversité et de l’inclusivité dans les œuvres culturelles.
Pourtant Yasuke, figure de la pop culture, a bien existé et a servi auprès du seigneur de guerre Oda Nobunaga. « Des gens s’appuient à démontrer que Yasuke n’est rien et à discréditer son image », décrit Romain Mielcarek, journaliste indépendant et auteur de Yasuke, le samouraï africain (Ed. Plon, 2024). Les critiques proviennent surtout des Etats-Unis, mais le débat s’est importé au Japon. « Là, il y a plus un phénomène de questionnement de sa position de samouraï, rapporte le journaliste. C’est plus intellectuel, mais très militant. » La polémique a même fait réagir le responsable politique Satoshi Hamada, siégeant dans un groupe populiste et « anticommuniste ». En plus de s’exprimer sur X à ce sujet, il a demandé une réaction du gouvernement sur « l’inexactitude historique que représente le personnage de Yasuke ».
Un phénomène de plus en plus fréquent
Une étude de l’Observatoire européen des jeux vidéo (OEJV) constate, elle aussi, que la politisation du jeu vidéo prend de l’ampleur. Assassin’s Creed Shadows fait partie des cinq cas choisis de jeux sortis en 2024 où la politique s’est invitée dans le gaming : citons Stellar Blade et l’image de la femme véhiculée par son héroïne hypersexualisée, ou l’inclusion dans Dragon Age The Veilguard de la possibilité de créer un personnage transgenre. « Ces controverses autour d’Assassin’s Creed Shadows révèlent des divergences sociétales fortes […]. Ce type de critique, provenant souvent de cercles trumpistes et conservateurs, cible ses attaques sur la question du recrutement sur la base des critères d’inclusivité. Pour cette communauté, le boycott des jeux est un recours légitime pour inciter les joueurs à « voter avec à leur porte-monnaie » », analyse ainsi le rapport.
Ce phénomène, qui vient parasiter les sorties de jeux vidéo et la communication autour, profite aussi du rachat du réseau social X par Musk et de l’arrivée de la monétisation. Les critiques et les avis clivants génèrent de l’engagement, et donc de l’argent. « Des gens s’intéressent aux jeux vidéo pour y faire valoir leurs intérêts, commente Olivier Mauco, docteur en sciences politiques et président de l’OEJV. Une minorité de comptes, moins de 1 %, produit à elle seule 17 % des engagements sur X, c’est-à-dire les messages postés, mais aussi les réponses ou les retweets. Ces comptes lisent le jeu vidéo sous le prisme de l’actualité, et parfois inversement. C’est un business pour eux ». L’origine de ce phénomène remonte à une dizaine d’années et à l’épisode du « GamerGate ». En 2014, des internautes avaient lancé une campagne de harcèlement contre plusieurs femmes développeuses et journalistes jeu vidéo aux Etats-Unis.
Les tenants du « go woke, go broke »
S’ajoute une forme d’ « Ubi-bashing » à l’égard d’un studio « incarnant parfois l’archétype des pratiques qui questionnent dans le secteur du jeu vidéo (jeux répétitifs, extensions payantes…) », souligne Romain Mielcarek. Mais sur le fond, « tous les Assassin’s Creed ont eu des approximations historiques. Il y a une vraie mauvaise foi dans les critiques, et je ne vois pas ce qui l’explique cette fois si ce n’est le choix du personnage », reprend-il. Les détracteurs « veulent que le jeu soit un échec pour couler Ubisoft, c’est leur slogan « go woke, go broke » (« Sois woke, perds des sous ») », constate pour sa part Olivier Mauco. Une stratégie de dénigrement payante ? Les données manquent pour savoir si ce genre de campagne a réellement un impact sur les ventes.
Malgré les haters, l’inclusion de Yasuke reste une opportunité pour Assassin’s Creed Shadows. Son statut d’étranger dans le Japon féodal devrait permettre aux joueurs de découvrir cet univers d’un point de vue extérieur, avec l’opportunité d’incarner un personnage historique et d’offrir plus de diversité aux personnages principaux de la saga. « Nous sommes à une époque où l’Histoire en tant que science évolue, conclut Romain Mielcarek. Il y a moins d’intérêt pour les grands personnages et plus pour les personnes communes, les voyages, la sociologie. » Et Yasuke en est l’ambassadeur.