Windows 10 à Windows 11 : un « scandale environnemental » et une facture « indue »
Le 14 octobre sonne la date limite de la fin du support logiciel pour Windows 10, lancé en juillet 2015. Selon une estimation de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), 22 % des ordinateurs en France fonctionnant sous Windows 10 sont incompatibles avec Windows 11.
Ecran noir. Ordinateur qui plante pour la sixième fois en une matinée, après une mise à jour du nouveau système d’exploitation Windows 11. Un nouvel ordinateur plus tard, et quelques collègues frustrés au passage (« je ne passerai pas à Windows 11 »), il faut bien reconnaître que les changements de système d’exploitation ont tendance à nous faire perdre du temps. Pour les professionnels, le 14 octobre marque la date limite de la fin du support logiciel pour Windows 10, lancé en juillet 2015.
En Europe, les utilisateurs privés pourront encore jusqu’en octobre 2026 accéder gratuitement aux mises à jour de sécurité critiques de Windows 10, à condition d’utiliser un compte Microsoft. Cependant, ce programme ne permettra pas de bénéficier d’autres types de correctifs, d’améliorations de fonctionnalités ou de produits, a précisé l’entreprise américaine.
« Un scandale environnemental »
Pour l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), qui lutte contre « la taxe Windows », le passage de Windows 10 à 11 risque de « provoquer un des plus grands scandales environnementaux du XXIe siècle », s’insurge Samuel Sauvage, cofondateur de HOP, car des ordinateurs devront être remplacés alors qu’il n’y a techniquement aucun dysfonctionnement. La raison ? Ces postes ne possèdent pas la puce TPM 2.0 ou ont un processeur incompatible et insuffisamment puissant. Ces deux éléments étant complexes à remplacer, l’achat d’un nouveau poste devient nécessaire.
Contacté, Microsoft renvoie à son article qui présente Windows 11 comme « le système d’exploitation le plus sécurisé jamais conçu » et souligne les risques de cybermenaces sous Windows 10 sans mises à jour régulières. Le géant américain, qui détient le système d’exploitation le plus utilisé au monde, avec plus d’1,4 milliard d’appareils actifs chaque mois, met en avant les performances de cette nouvelle version, considérée comme plus rapide, plus efficace et intégrant de nouvelles fonctionnalités utilisant l’intelligence artificielle.
48.000 ordinateurs à remplacer
« Le support logiciel a un coût et il est acceptable qu’il prenne fin à un moment donné, soutient Samuel Sauvage. Néanmoins, nous plaidons pour que le soutien de Windows 10 puisse durer jusqu’en 2030. » Selon une estimation de HOP, 22 % des ordinateurs en France fonctionnant sous Windows 10 sont incompatibles avec Windows 11. Une aberration pour ceux qui s’engagent dans une démarche de responsabilité numérique.
Un grand acteur public doit ainsi remplacer 48.000 postes sur les 57.000 existants, explique Christophe*, le responsable du développement durable et numérique responsable de cet organisme. D’ici à 2028, il devra débourser 3,6 millions d’euros pour les licences et environ 43 millions d’euros pour le remplacement du matériel, à raison d’un poste évalué à 900 euros.
« Le fait que les mises à jour de sécurité ne soient plus diffusées par Microsoft expose à de grandes vulnérabilités », souligne le responsable. « On ne peut pas prendre ce genre de risques étant donné que nous faisons partie des sites les plus hackés. Nous allons donc payer cette maintenance en attendant le remplacement du matériel. » Pour les entreprises, cela représente un coût par appareil de 61 dollars la première année (52 euros), 122 dollars la deuxième (104 euros) et 244 dollars la troisième (208 euros). « C’est une pression énorme pour changer de matériel, alors que les besoins fonctionnels n’ont pas évolué, s Offusque-t-il. C’est une obsolescence programmée avérée, c’est lamentable. »
Une dépense qui « n’apporte pas de services publics supplémentaires »
Des collectivités et administrations, ayant répondu à un questionnaire de l’association, ont fait part des conséquences de cette migration vers Windows 11, entraînant un coût financier additionnel, des ressources humaines dédiées à ce changement et une perte de compatibilité logicielle et de matériel encore fonctionnel. À la Ville de Paris, sur les 42.000 postes concernés, 14.000 fonctionnaient encore sous Windows 10 fin 2024.
« En 2025, 4.000 postes ont été remplacés et pour les 10.000 restants, qui ne peuvent pas, compte tenu de leur capacité, être transférés sur Windows 11, nous allons devoir payer les mises à jour de sécurité », indique à 20 Minutes Antoine Guillou, adjoint à la maire de Paris en charge de la réduction des déchets.
Il estime que le coût des extensions de sécurité se chiffre en dizaines de milliers d’euros par an. Les postes incompatibles seront remplacés chaque année en fonction des arbitrages budgétaires. « C’est une dépense que nous considérons indue et que nous aurions souhaité éviter, souligne-t-il. Elle ne va pas apporter de services publics supplémentaires. » « Abandonner les anciennes versions pour adopter les plus récentes fait partie d’un cycle naturel », constate Microsoft, alors que le support de Windows 10 aura duré dix ans, comme pour les versions précédentes de Windows depuis Windows XP.
La fabrication, c’est 95 % de l’empreinte carbone
En France, le secteur numérique représente 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre, et une grande partie de cet impact environnemental provient de la fabrication des équipements, rappelle l’Ademe. Pour un ordinateur portable moyen utilisé cinq ans, 95 % de son empreinte carbone provient de l’assemblage, de la distribution et de la construction. Son utilisation et sa fin de vie représentent seulement 5 % de l’empreinte carbone.
« Notre objectif dans une trajectoire bas carbone est d’allonger la durée de vie interne des ordinateurs, jusqu’à six ans en moyenne », souligne Christophe, alors que les postes avaient déjà été changés en 2021. Les ordinateurs remplacés sont, ajoute-t-il, remis à des entreprises de l’économie sociale et solidaire pour qu’ils aient une seconde vie et puissent fonctionner pendant dix ans. Avec Windows 10 bientôt obsolète, cette politique de sobriété est fragilisée et risque d’accentuer la fracture numérique.
Apple condamné en 2020 pour « pratique commerciale trompeuse »
Concernant la lutte contre l’obsolescence programmée, la France avait été pionnière en introduisant en 2015 un délit interdisant les pratiques visant « à réduire délibérément la durée de vie [d’un produit] pour en augmenter le taux de remplacement ». Mais dix ans plus tard, aucune entreprise n’a encore été condamnée pour ce motif.
Visé par une enquête pour obsolescence programmée, motif finalement non retenu, Apple avait dû verser une amende de 25 millions d’euros en France en 2020 pour « pratique commerciale trompeuse par omission ». Le géant américain n’avait pas informé les utilisateurs de smartphones que les mises à jour pouvaient ralentir le fonctionnement de leur appareil.
« Selon nous, l’objectif d’Apple était de pousser les consommateurs à acheter le nouveau modèle », soutient Samuel Sauvage, de Halte à l’obsolescence programmée, qui avait porté plainte à l’époque. « C’est difficile à prouver juridiquement, mais c’est la logique économique derrière ce type de mises à jour. » Aujourd’hui, l’association appelle à une loi-cadre obligeant les géants de la tech à fournir un support logiciel d’au moins quinze ans.
* Le prénom a été modifié.

