France

« Voir revenir le scorbut en France est très difficile à accepter », affirme un pédiatre

On le pensait disparu. Mais depuis quelques années, des pédiatres voient réapparaître le scorbut chez des enfants dans de nombreux départements français. Pour confirmer leur impression, des médecins des hôpitaux Robert-Debré à Paris et de Cayenne en Guyane, accompagnés de chercheurs de l’Inserm et de l’université Paris Cité, ont réalisé une étude visant à mesurer le nombre de cas de scorbut chez les enfants en France. Les résultats ont été publiés le 6 décembre dans la revue médicale britannique The Lancet.

Ils montrent une augmentation des cas de 34,5 % entre mars 2020 et novembre 2023. Un chiffre probablement sous-estimé car il ne prend en compte que les enfants hospitalisés et diagnostiqués, soit 888 entre janvier 2015 et novembre 2023. Comment expliquer le retour de cette maladie d’un autre temps ? Ulrich Meinzer, professeur de pédiatrie à l’hôpital Robert-Debré, qui a coordonné l’étude, livre ses pistes à 20 Minutes.

En quoi consiste le scorbut ?

Longtemps qualifié de « maladie des marins » car il leur faisait perdre des dents voire les tuait entre les XVIe et XXe siècles, le scorbut est lié à un déficit profond et durable en vitamine C. « Il est caractérisé lorsque l’on a moins de 10 mg par jour d’apport, sachant qu’un adulte a besoin de 110 mg par jour, et un enfant entre 30 et 50 », précise Ulrich Meinzer. En guise de repère : une orange contient environ 80 mg de vitamine C.

Les symptômes du scorbut apparaissent au bout d’un à trois mois, donnant lieu à des douleurs osseuses intenses, une faiblesse musculaire invalidante, des saignements au niveau de la peau et des gencives, une perte de dents, une altération de l’état général, voire la mort. « Tout ça arrive parce que la vitamine C est nécessaire à la fabrication du collagène, une protéine fournissant une résistance des tissus, comme la peau, le cartilage ou les parois des vaisseaux », ajoute Ulrich Meinzer.

Si elle tuait des marins à l’époque, la maladie conduit très rarement à la mort de nos jours car elle est facile à traiter. Un simple apport quotidien en vitamine C par comprimé permet de faire disparaître les symptômes.

Pourquoi est-il en augmentation chez les enfants ?

« Depuis la pandémie de Covid-19, on voit de plus en plus de familles avec de forts problèmes économiques, à l’hôpital », témoigne le pédiatre. Dans leur étude, les chercheurs constatent qu’un tiers des enfants touchés par le scorbut bénéficiaient de la CMU (couverture maladie universelle). « Grâce aux données de l’Inserm, on a observé une très forte corrélation entre la courbe du scorbut et celle de l’inflation touchant les denrées alimentaires, poursuit le professeur. Tout cela pointe vers la même direction : le scorbut est très associé à la précarité. »

Que faire pour y remédier ?

« C’est une maladie qu’on peut éviter très facilement en mangeant à peu près équilibré », insiste le professeur. De nombreux fruits et légumes regorgent de vitamine C. Les agrumes, évidemment, mais aussi le cassis, le kiwi, le poivron, la pomme de terre ou encore le brocoli. « La vitamine C est fragile à la température donc on conseille une cuisson douce, voire de manger les fruits ou légumes crus », précise le médecin.

Mais pour cela, faut-il encore que leur prix reste abordable. « J’espère que notre étude donnera lieu à une réponse des pouvoirs publics car il s’agit d’un véritable problème de santé publique, martèle le professeur. Voir revenir cette maladie, c’est très difficile à accepter pour un pédiatre. » Le médecin met en avant plusieurs pistes pour y remédier : créer un programme d’aide alimentaire ciblé, donner une meilleure éducation alimentaire et former les soignants à la prévention et à la détection des carences. « Comme les médecins voyaient très peu de cas de scorbut, ils n’avaient pas forcément en tête cette hypothèse. »