Viols, vols avec arme… Un « plaider coupable » pour les crimes est-il une bonne idée ?

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), aussi appelée « plaider coupable », a été instaurée dans le Droit français pour les délits en 2004 dans l’idée, déjà, de désengorger les tribunaux correctionnels. Une mesure que le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, imagine désormais appliquer aux crimes comme les viols ou les vols avec armes selon les préconisations d’un récent rapport visant adapter la justice au nombre d’affaires criminelles en attente de jugement.
Et les auteurs de ce rapport, quatre hauts magistrats et un avocat, n’ont rien inventé puisque leur « idée » avait déjà été largement évoquée en 2009, dans le rapport dit « Léger ». Il y était déjà préconisé « un allègement de la procédure d’assises en cas de reconnaissance de sa culpabilité par l’accusé ». En gros, exit les débats sur des faits déjà reconnus et une promesse de « peine maximale encourue minorée ». Aujourd’hui encore les avis divergent sur cette mesure, entre « idée exécrable » et « nécessité ».
« Une nouvelle ineptie »
« Un viol, un vol avec armes, c’est des petits trucs », ironise Serge Portelli, ancien magistrat devenu avocat. Et il ne prend pas la peine de contenir son exaspération : « C’est une idée exécrable, à la hauteur de toutes les inepties de Gérald Darmanin », lâche-t-il. Pour lui, cette mesure « ne vise pas une efficacité réelle », mais ressemble plutôt à un « coup médiatico-politique ».
Bien que les détails de ce projet n’aient pas été dévoilés, l’ancien magistrat déplore « une réforme dans la lignée des précédentes qui visent à éloigner le peuple de la Justice », à l’image « de la réduction des compétences des cours d’Assises ».
Que cela se fasse en audience rapide ou dans un bureau, « la question de l’indépendance de la justice se pose dès lors que cette forme de justice ne passe que par le procureur », explique-t-il, fulminant que l’on « s’inspire de plus en plus du système américain ».
A l’instar de Bernard Blais, avocat général honoraire à la Cour de cassation, en 2009, Serge Portelli revendique une « visibilité de la justice qui est due au peuple français au nom duquel on la rend ». Autrement dit, il faut exposer et examiner minutieusement des faits devant un jury et un public, même si ces faits ne sont pas contestés.
« Une nécessité »
Première vice-procureure de Paris et secrétaire générale d’Unité magistrats-FO, Béatrice Brugère se félicite de son côté de porter cette réforme avec son syndicat. « Les cours d’assises et les cours criminelles sont complètement saturées, alors une telle mesure profiterait à tout le monde », estime-t-elle, « si ce n’est pas au prix d’une justice dégradée », note toutefois la magistrate.
Le gain principal, selon elle, se jouerait sur la durée des audiences. « Les jurés d’une cour d’assises n’ont pas accès au dossier, ce qui implique de leur refaire tout le film de l’affaire pour qu’ils sachent de quoi on parle, c’est extrêmement chronophage », affirme cette spécialiste du pénal. « A quoi bon, donc, s’étendre sur la matérialité de faits qui ont déjà été reconnus », s’interroge la procureure, insistant pour que les débats ne portent que sur le quantum de la peine à infliger au prévenu.
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Et les victimes dans tout ça ? « Par expérience, je sais que l’intérêt des victimes, c’est avant tout la reconnaissance des faits », assure Béatrice Brugère. « En tout cas, leur intérêt n’est certainement pas d’attendre des années une date de jugement », renchérit-elle, estimant que « juger vite n’est pas juger mal ».