Viols de Mazan : « Lui et moi contre le reste du monde »… Les confidences de l’avocate de Dominique Pelicot

Tout a commencé par une lettre envoyée depuis les hauts murs de la prison des Baumettes en mars 2021. Dominique Pélicot, incarcéré depuis quelques mois, cherche un nouvel avocat, trouvant celui commis d’office « trop bavard ». L’enquête sur les « viols de Mazan » ne fait que débuter et son nom ne parle, pour l’instant, qu’aux policiers et magistrats qui travaillent sur le dossier. Sur les conseils d’un codétenu, le sexagénaire contacte Me Béatrice Zavarro.
L’avocate marseillaise accepte de le défendre. Si elle a rapidement compris l’ampleur du dossier, jamais elle n’aurait soupçonné son retentissement. Dans « Défendre l’Indéfendable »*, paru aux éditions Mareuil, Béatrice Zavarro raconte cette traversée en solitaire que furent ces trois mois de procès à Avignon, son lien avec l’accusé, son admiration pour la victime. Interview.
Ce procès, c’est votre « grande affaire », celle dont rêve plus ou moins secrètement tous les avocats. Comment retourne-t-on à la vie d’après ? Qu’est-ce que ça a changé ?
Cette affaire, c’est mon Everest. Et à vrai dire, je n’en suis pas totalement sortie. Alors oui, elle est terminée, mais on m’en parle tout le temps. Des confrères, des magistrats, des journalistes. Tout à coup, les regards changent, on sort de l’anonymat. Je suis invitée à faire des conférences, à parler de ce procès. Des confrères qui ne me regardaient même pas viennent me parler. Les retours que j’ai eus sont positifs, on m’a souvent dit que j’avais montré ce qu’était vraiment notre profession. Mais je ne cours pas les affaires médiatiques. Mon premier dossier après ce procès a été de défendre un agent municipal devant le conseil de discipline de la fonction publique territoriale des Bouches-du-Rhône.
En mars 2021, Dominique Pelicot vous écrit une lettre sur les conseils d’un codétenu pour vous demander d’assurer sa défense. Vous vous êtes toujours fixé comme règle de « les défendre tous », mais prenez-vous peur en voyant l’ampleur des faits ?
Lorsque je le rencontre pour la première fois, je sais qu’il est mis en examen pour viols en réunion, administration d’une substance à la victime, diffusion d’images… mais j’ignore alors que la victime est sa femme. C’est lui qui me l’apprend. Je dois dire que je tombe des nues, ce sont des faits très singuliers. Mais cela ne me fait pas hésiter. Avec Dominique Pelicot, on arrive à communiquer simplement, on a un vrai échange, pas édulcoré. Le lien se fait rapidement. De toute façon, si ça ne matche pas, s’il y a de la méfiance, on ne peut pas faire équipe. Quand j’ai vu les mises en examen s’accumuler, je lui ai proposé de prendre un second avocat. Il a refusé. Il m’a dit qu’il m’avait accordé sa confiance et qu’il ne le ferait pas une seconde fois. A partir de là, cela a été lui et moi contre le reste du monde.
Comment s’est construite votre ligne de défense ? Dans cette affaire, il y a des aveux, des images…
Lorsqu’on accepte un dossier comme celui-ci, on sait qu’il nous occupera l’esprit très longtemps. Au fil de l’instruction, je note les idées qui me viennent. Parfois, elles arrivent en pleine nuit et je me lève pour les noter. Mon objectif dans ce dossier, c’est d’expliquer les motivations, d’éclairer sa personnalité, son parcours de vie… puisque les faits sont reconnus. Comment en arrive-t-on à infliger cela à une femme avec laquelle on est marié depuis cinquante ans et dont on affirme être toujours amoureux ?
En octobre 2022, alors que l’instruction est terminée et que le procès se profile, Dominique Pelicot est mis en examen pour deux cold cases : une tentative de viol en 1999 qu’il reconnaît et un viol suivi d’un meurtre qu’il nie en 1991. Que ressentez-vous ?
Quand ces mises en examen surviennent, je sais que cela change la donne. Le profil de l’homme esseulé, un peu délaissé par sa femme, qui veut assouvir ses fantasmes ne tient plus. Mais pendant tout le procès, je me suis efforcée de distinguer ces affaires car il reste présumé innocent sur ces dossiers. En revanche, d’autres avocats – et même le ministère public – n’ont pas manqué de les évoquer…
Dominique Pelicot ne veut pas être le paratonnerre dans cette affaire et est déterminé à faire condamner ses co-accusés. Cette stratégie vous isole de vos confrères. Vous racontez, par exemple, qu’ils vous ont exclu du groupe WhatsApp des avocats de la défense…
J’avais dans cette salle d’audience deux alliés : mon client avec qui je faisais équipe et mon conjoint qui était présent, chaque jour, à mes côtés. Je m’étais conditionné à être isolée pendant les débats mais je ne pensais pas qu’il y aurait de confusion de genre. Ce n’est pas parce que je défends Dominique Pelicot que je suis Dominique Pelicot. Certains m’ont accusée publiquement de devenir l’avocat général [c’est-à-dire de porter l’accusation] de leur client. Dominique Pelicot a toujours rejeté avoir manipulé quiconque, il a toujours été très clair depuis l’instruction : tous ces hommes savaient ce qu’ils venaient faire chez lui. Il ne voulait pas porter le chapeau pour tous et cela m’a été reproché.
On sent chez vous de l’admiration pour Gisèle Pelicot. Comment fait-on pour défendre le principal accusé tout en préservant sa victime ?
On part du principe qu’elle n’est pas l’adversaire. Je n’ai pas absolument rien à reprocher à cette femme. Et oui, je suis admirative de son cran, de son courage d’avoir refusé le huis-clos, d’avoir demandé la diffusion des vidéos. J’ai été choquée par certaines questions de mes confrères, cette façon de l’attaquer… On peut tout dire, on peut poser n’importe quelle question, mais il y a manière et manière.
Dominique Pelicot a été condamné à la peine maximale, vingt ans. Vous dites avoir été déçue mais compte tenu de la gravité des faits, vous attendiez-vous réellement à une peine plus légère ?
Je pense que réduire la peine de 12 mois m’aurait donné le sentiment d’avoir été entendue. Mais compte tenu des faits, je comprends la peine. Nous avons mûrement réfléchi à un éventuel appel mais Dominique Pelicot ne voulait pas infliger de nouveau procès à son ex-épouse.
Cette affaire a été éprouvante pour vous physiquement. A la fin de l’instruction, vous avez été victime d’un tassement de vertèbres. Après le procès, vous avez été alitée en raison de votre dos…
Si c’était à refaire, je le referais.
Êtes-vous toujours en contact avec Dominique Pelicot ?
Oui, je l’ai vu ce matin. D’abord parce qu’il y a toujours des dossiers en cours, notamment ceux à l’instruction au pôle cold case. Mais même sans cela, je serai restée en lien avec lui. Je suis pratiquement sa seule interlocutrice.
Il y a également la plainte pour viol de Caroline Darian, la fille de Dominique Pelicot. Deux photos d’elle ont été retrouvées dans les affaires de votre client…
On verra s’il est convoqué par la justice. Caroline Darian a une conviction et on ne peut pas combattre une conviction. Mais mon client a toujours nié et je n’ai pas de raison de ne pas le croire. L’avocate générale au procès d’Avignon a expliqué qu’il n’y avait rien dans le dossier permettant de le poursuivre.
*« Défendre l’indéfendable », aux éditions Mareuil, coécrit avec Danièle Prieur

