France

Violences scolaires : « J’avais la rage quand je suis sorti de Notre-Dame de Garaison »

Les auditions de la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle par l’État et la prévention des violences dans les établissements scolaires, créée dans le sillage de l’affaire Bétharram, démarrent ce jeudi. Les représentants de huit collectifs, Notre-Dame de Bétharram, Saint-François Xavier d’Ustaritz, Notre-Dame de Garaison, Notre-Dame du Sacré-Cœur de Dax, Saint-Pierre Relecq-Kerhuon, Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, Les filles du Bon Pasteur d’Angers, Riaumont de Liévin, seront entendus à partir de 10h30, l’objectif étant de comprendre quels mécanismes ont conduit à cette violence.

20 Minutes a interrogé Michel Lavigne, 68 ans, le représentant du collectif de Notre-Dame de Garaison, à Monléon-Magnoac (Hautes-Pyrénées).

Comment vivez-vous cette libération de la parole depuis l’affaire Bétharram ?

C’est formidable. Il faut comprendre que nous avons été condamnés au silence toute notre vie. Personne ne voulait nous entendre. Moi, j’avais la rage quand j’en suis sorti, j’avais des envies de vengeance, je rêvais de revenir à Notre-Dame de Garaison pour y mettre le feu. Par la suite, j’ai été dans la révolte, je me suis élevé contre toute forme d’injustice. Aujourd’hui j’ai 68 ans, la hargne que j’avais s’est apaisée. Mais je vois que les gens qui ont 40 ans sont encore dans la colère.

Le collectif des anciens de Garaison a été créé il y a un peu plus d’un mois, combien de membres êtes-vous désormais ?

Nous en sommes à une cinquantaine de membres dans le collectif, davantage sur le groupe Facebook. Il devrait y avoir un peu plus de 25 Cerfa [en vue d’un dépôt de plainte] déposées au procureur de Tarbes d’ici à la semaine prochaine. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a beaucoup de faits qui se recoupent, avec des tortionnaires qui sont restés pendant plus de 30 ans. Moi je suis entré à Garaison en 1965 et j’y suis resté jusqu’en 1974, mais des gens entrés dans les années 1980 ont subi mêmes choses. Et je vois qu’il y a des choses aussi graves, voire plus graves, plus tard.

Les tortionnaires que vous décrivez sont donc restés en place très longtemps ?

Oui. Il y avait un surveillant général, que l’on appelait un préfet de discipline, qui est entré dans les années 1960 et qui a pris sa retraite dans les années 1990. Il y a un autre surveillant qui a sévi aussi dès les années 1960, et qui est resté des années. On le surnommait « Jo le Crabe », car il était connu pour prendre les élèves avec les deux mains par les joues et les soulever de terre. Ce sont des gens qui étaient au cœur du système, et qui ont été couverts par les directeurs successifs. Et en dessous il y avait les élèves surveillants, qui faisaient régner la terreur. Au moindre bruit, ils pouvaient nous réveiller au beau milieu de la nuit pour nous faire mettre à genoux pendant très longtemps, avec des distributions de claque. C’était une terreur 24h/24, et ce sont les plus gentils qui étaient le plus souvent punis, ce qui était mon cas. J’étais plutôt chétif en plus, et un jour, alors que j’étais en classe de première, j’ai été tabassé par un frère, pour faire un exemple. Il m’a donné des coups de poing, des coups de pied quand j’étais à terre, devant tout le monde.

Et il y avait une différence de traitement entre les pensionnaires et les autres ?

Tout à fait. En cours, à part quelques exceptions, ça se passait à peu près bien, mais en dehors des cours c’était terrible, et c’était évidemment nous, les internes, qui subissions la plus grosse part.

Est-ce que vous avez pu identifier jusqu’à quelle période ces violences ont duré ?

C’est difficile à dire. Nous sommes sûrs que ça a perduré jusqu’aux années 1990, mais on a aussi quelques témoignages de gens qui ont fréquenté l’établissement dans les années 2000, et qui ont aussi subi des violences.

Notre dossier sur l’affaire Bétharram

Deux plaintes pour viols ont été déposées pour des faits commis dans les années 1990. Qu’en était-il des faits à caractère sexuel ?

Nous avons des témoignages de violence sexuelle, je pense qu’il y en aura d’autres. Mais la parole a plus de mal à se libérer autour de ces questions. Un surveillant de Garaison a été condamné à de la prison ferme pour des viols [en 2009, la cour d’assises des Hautes-Pyrénées a en effet condamné à douze ans de prison un ancien surveillant du collège Notre-Dame de Garaison pour « viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et par personne ayant autorité », pour des faits commis entre 1987 et 2006 sur plusieurs enfants scolarisés dans l’établissement] et il est probable que toutes ses victimes ne se soient pas dévoilées, car il y avait de la peur.