Violences faites aux femmes, homophobie, racisme… Comment peut-on rire de sujets « pas drôles » ?
«Pour certaines blagues, je me suis dit : « Ah ouais, je ne sais pas, est-ce que je suis d’accord de rire de cette violence qu’elle a vécue ? ! » », lance Javiera, perplexe. Elle vient d’assister à la soirée stand-up « On ne peut plus rien dire », du collectif Metoo Lyon et Filactions, dans le cadre d’événements organisés pour lutter contre les violences faites aux femmes, à Villeurbanne.
Après avoir invité Tahnee, Camille Giry et Mamari pour la première édition, les deux associations ont accueilli cette année les humoristes Amélie Coispel et Noam Sinseau pour montrer qu’il était possible de rire de discriminations vécues.
Comment se différencier des blagues vraiment problématiques ?
Blagues sur le genre, la bisexualité, l’homosexualité, le racisme… Dans la salle de 490 places, remplie, les spectateurs et spectatrices alternent entre les rires et les applaudissements de « reconnaissance ». « C’est un peu comme avec Hannah Gatsby [connue pour son spectacle Nanette], tu chiales et tu ris en même temps », résume Laura, après la soirée. À côté d’elle, Rita ajoute : « Ce n’est pas forcément facile de rigoler car ce sont des thématiques complexes mais, en tant que personne issue de la minorité, c’est comme si on se moquait de la norme et qu’on retournait le stigmate. »
C’est exactement ce que prônent les deux artistes ce soir-là. Après leur passage, ils ont participé à une table ronde et ont notamment expliqué comment ne pas être « problématiques », comme certains humoristes peuvent encore l’être avec des blagues vraiment sexistes et racistes.
« Avec Tahnee, Mahaut et Lou [d’autres humoristes queer et engagés], qui sont mes meilleurs amis et mon cercle proche dans le stand-up, on se passe nos blagues entre nous pour se les confirmer et s’assurer qu’on ne blesse aucune communauté avec ce qu’on dit, explique Noam Sinseau. Il ne faut pas avoir peur de communiquer, de demander si telle ou telle blague est problématique. Ce que certains ne font pas. Car même si on est des personnes conscientes, qui font attention, on est sans cesse en voie en déconstruction. »
Pour Amélie Coispel, c’est en continuant de s’informer sur ce qu’il se passe autour de nous qu’on évite justement ces biais discriminants et oppressants. « Je pense même que c’est une paresse intellectuelle de faire des blagues sur les meufs à la cuisine ou sur le fait qu’elles ne sauraient pas conduire. Ces référentiels sont déjà très éculés », ajoute-t-elle.
Un cadre « bienveillant » où on se sent « en sécurité de rire »
En plus d’inviter des artistes engagés, les deux associations voulaient également s’assurer de proposer un « cadre bienveillant », où « tout le monde se sent bien, humoristes et public ». Car comme le fait remarquer un des spectateurs, Raphaël, « il est difficile de connaître les limites de chacun dans le sujet des violences, même en amenant très bien une blague ».
Ainsi, pour cette soirée, l’organisation avait prévu un dispositif d’écoute, avec des bénévoles formé.e.s, qui permettaient de sortir de la salle à n’importe quel moment et d’avoir un moment de repos dans un endroit safe.
« Cette soirée est pour nous l’occasion de proposer un moment plus léger dans ces semaines de luttes intenses tout en continuant de sensibiliser à la cause, explique Charlène, bénévole pour Metoo Lyon. On voit cette soirée comme une bulle. C’était donc important pour nous de réunir les bonnes conditions. »
Laura, également bénévole dans le collectif, ajoute : « On a voulu créer un cadre où on puisse se dire : « Parce que c’est bien fait, parce que ce sont des personnes concernées qui en parlent, qui jouent sur l’autodérision, on se sent aussi en sécurité pour en rire. » »
L’importance de l’humour comme outil de militantisme
Ce soir-là, Amélie Coispel et Noam Sinseau ont joué devant un public « au courant et convaincu » de la nécessité de lutter contre les violences faites aux minorités. Mais les humoristes ont souligné l’importance de ne pas gommer leur côté engagé devant des personnes « moins averties » sur ces sujets.
« Quand je me suis lancé dans le stand-up, j’ai voulu me conformer pour faire plus de scènes et réussir, explique Noam Sinseau. Mais je me suis vite rendu compte qu’en poussant au maximum qui j’étais sur scène, je pouvais aussi insérer des petites graines dans la tête des homophobes pour que ces personnes se remettent en question plus tard. Et à partir de là, j’ai commencé à dire que j’étais pédé sur scène et je n’ai plus jamais arrêté. »
Notre dossier sur l’humour
« En affirmant notre identité militante devant tous les publics, on permet aussi à nos histoires d’exister dans d’autres nos milieux que ceux où les gens sont « déjà acquis », détaille Amélie Coispel. Avec nos spectacles et le rire, on peut ainsi partager, transmettre des idées d’une manière plus particulière que dans d’autres contextes car on ne suscite pas les mêmes émotions. Et c’est une force. » Elle explique que son « rêve » est alors d’arriver à créer un show à la fois drôle et pédagogique, qu’on veuille « emmener quelqu’un à un spectacle pour lui faire comprendre qui on est, de la même manière qu’on enverrait une chanson pour dire ce qu’on ressent ».
« Et puis, en assumant totalement nos identités, des gens dans le public peuvent voir qu’il y a des gens comme eux sur scène, qui vivent la même chose qu’eux, qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent réussir. Et moi, c’est ce qui m’a manqué quand j’étais adolescent », conclut Noam Sinseau.