France

VIH : « Le problème, c’est la contamination hétéro », après la découverte de 14 cas reliés entre eux

Lundi dernier, l’agence régionale de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes alertait sur « une situation inhabituelle » : 14 cas d’infection au VIH ont été détectés en moins de six mois sur le territoire, et le plus « marquant », ils étaient « reliés entre eux ». Pour 20 Minutes, Olivier Rogeaux, médecin infectiologue au centre hospitalier métropole Savoie, à Chambéry, est revenu sur ce « phénomène rare » et les « leçons » à en tirer.

Comment avez-vous découvert ce « cluster » de VIH en Savoie ?

Avec mes collègues, on a remarqué que le nombre de contaminations du VIH repartait à la hausse de manière importante ces deux dernières années. Au moment du Covid-19, on était à trois ou quatre nouveaux cas par an. En 2023, on en a eu 21 et en 2024, on est déjà à plus de 20.

Ensuite, on a été frappé de voir que récemment, huit ou neuf personnes avaient été dépistées au stade précoce de l’infection, en « primo-infection », avec des symptômes comme de la fièvre, éruption cutanée. Une fois sur deux, quand vous êtes contaminé par le VIH, vous allez faire des manifestations cliniques précoces. Ce qui veut donc aussi dire qu’une fois sur deux, vous n’allez pas en faire. Il faut alors retrouver ceux qui n’ont pas eu de symptômes.

D’autant plus qu’en analysant finement les souches virales, on s’est aperçu qu’on avait 14 personnes récemment contaminées qui l’étaient par la même. On fait donc face à une sorte d’effet « tache d’huile » de contamination avec une souche qui est en train de se répandre de façon importante, de proche en proche, de manière lente et continue.

Que dire de ce « cluster » en tant qu’infectiologue ?

Les phénomènes de cluster comme ça, c’est quelque chose de très rare à identifier. En trente ans de carrière à l’hôpital de Chambéry, je n’avais jamais fait face à ce genre de situation. D’après les analyses du virologue, ce cluster se situe majoritairement dans la zone géographique Aix-les-Bains/Chambéry. Les contaminations concernent à 80 % des hommes et lors de rapports hétérosexuels. Les personnes dépistées, reliées entre elles, ont de 20 à 70 ans. Ces données montrent aussi qu’il n’y a pas d’âge et pas de profil « type ». Une relation sexuelle suffit à être contaminé. Il faut sortir des clichés des gens à risque.

Ce qu’on retient, c’est donc qu’il y a actuellement une surcontamination par des gens qui prennent des risques hétérosexuels sans utilisation du préservatif. Même s’il y avait eu qu’une seule personne initiale, à partir du moment où il y a d’autres personnes contaminées, si elles ne sont pas dépistées et continuent d’avoir des rapports non protégés, elles vont alors transmettre le virus. C’est un phénomène de chaîne. Aujourd’hui, on en a 14. Mais demain, si on a dix ou 15 personnes qui ne se savent pas positives, elles vont en contaminer d’autres. L’épidémie du sida continue à se transmettre par ces personnes-là.

Comment faire pour casser cette chaîne de contaminations du VIH ?

On continue de mener une enquête avec l’ARS car il y a effectivement des points communs entre ces personnes. Mais en raison du secret médical, ce n’est pas évident d’aller questionner nos patients et patientes sur leurs pratiques. On essaie alors d’avancer sur le sujet et de retrouver ces personnes « dans la nature » porteuse du VIH à travers des campagnes de sensibilisations, pour tenter de dépister le plus possible. Car la révolution de ces dernières années avec cette maladie, c’est que, si on est dépisté, on est traité. Et si on est traité efficacement, on ne transmet plus. C’est pour ça que les gens ont tout intérêt de le faire.

Quelles leçons à tirer de ce phénomène de cluster ?

En ce moment, on remarque qu’en Savoie, on a moins de contaminations homosexuelles et que le problème de la toxicomanie est réglé. Celui qui persiste, donc, c’est la contamination hétérosexuelle. On a l’impression que dans l’esprit des gens, le VIH est une maladie « du passé ». Des récentes enquêtes montrent d’ailleurs que l’utilisation du préservatif est moins fréquente ces dernières années et qu’il y a un relâchement des « bonnes » pratiques.

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Il est nécessaire que la population comprenne qu’il est encore utile de se protéger. Mais aussi qu’il est très important de se faire dépister quand on a pris un risque. En tant que professionnel de la santé, il nous a semblé important de tirer le signal d’alarme face à ces constats.

Qu’est-il important à rappeler sur le VIH ?

Le sens de notre alerte en tant que médecin c’est : « faites attention, réutilisez le préservatif, protégez-vous et faites vous dépister largement. » Il faut continuer d’être vigilant, le VIH peut continuer de se transmettre facilement et rapidement. Il faut donc rappeler qu’on ne guérit pas du VIH, qu’on le traite avec un traitement à vie et que la maladie reste grave, stigmatisante et qui n’est pas facile à vivre. Le VIH, ce n’est pas une maladie du passé, elle reste encore très présente et un peu à part.