France

Une « Une » trompeuse de L’Humanité sur Gaza ? Pourquoi ces accusations ne tiennent pas

«Netanyahou, l’affameur de Gaza », écrivait le journal L’Humanité sur sa Une, mercredi 14 mai. Derrière ce titre, une photographie d’un enfant, chétif. Son visage est creusé et ses yeux ressortent.

Si l’image a provoqué l’émoi des internautes, d’autres ont accusé le quotidien de l’avoir détournée, sortie de son contexte, et donc de mentir à ses lecteurs.

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« Avec le blocus imposé par le gouvernement israélien depuis le 2 mars, la faim est employée comme arme de guerre contre une population déjà exsangue. La communauté internationale a le devoir de faire cesser le crime en cours », a également écrit L’Humanité sur sa Une.

FAKE OFF

Dans un premier temps, de nombreuses personnes ont affirmé que l’image n’avait pas été prise à Gaza. « En trois minutes tout le monde a débunké la photo (daté de 2010) », a écrit un internaute. Ils affirment qu’elle a été prise en Turquie.

Le jour de la parution du journal, et voyant la polémique monter, L’Humanité a publié, sur X, la photographie complète accompagnée de son bordereau AFP. La légende présente sur celle-ci indique bien Khan Yunis, une ville palestinienne située dans le sud de la bande de Gaza, le 24 avril dernier.

20 Minutes a effectivement pu vérifier la véracité de ces informations, sur la plateforme de l’AFP, accessible aux professionnels. Des photographies d’autres enfants dans la même situation y sont également visibles.

La légende indique : « Un enfant palestinien nommé Osama El Rakab lutte pour sa vie à l’hôpital Nasser de Khan Yunis, situé dans la partie sud de Gaza, en raison d’une faiblesse corporelle liée à la malnutrition le 24 avril 2025. »

Et d’ajouter : « Depuis qu’Israël a fermé ses portes à l’aide humanitaire le 2 mars et a poursuivi ses attaques sur la bande de Gaza, la crise des médicaments et de la nourriture s’est aggravée, entraînant la mort de nombreux enfants palestiniens en raison de la malnutrition et du manque de soins médicaux. »

Un enfant malade ou malnutri ?

Face à la polémique, et ce malgré la publication du bordereau AFP, la directrice de la rédaction de L’Humanité, Maud Vergnol, s’est exprimée sur X : « L’extrême droite accuse notre journal d’avoir publié une “fausse photo”, documentant l’usage de la faim comme arme de guerre dans la bande de Gaza. Elle nous menace, nous injurie, nous accuse de “fantasmer le génocide à Gaza”. »

Et de rappeler qu’il s’agit d’une « photographie sourcée, publiée par l’Agence France Presse, qui garantit, grâce à un travail minutieux, l’authenticité et la provenance de ses photos, pour lutter contre l’IA générative ».

Dans un second temps, certains internautes ont affirmé : « Ce n’est pas un enfant affamé, c’est un enfant malade. » Il souffrirait plus précisément de « mucoviscidose (cystic fibrosis), une maladie génétique chronique grave diagnostiquée avant le début de la guerre ».

Rien sur la légende de l’Agence France Presse ne l’indique. Associated Press, qui a réalisé le même reportage, évoque effectivement la « cystic fibrosis » dans leur article.

« Aucun enfant souffrant de la mucoviscidose ne présente cet état-là »

Il est écrit : « La mucoviscidose d’Osama al-Raqab s’est aggravée depuis le début de la guerre. Le manque de viande, de poisson et de comprimés d’enzymes pour l’aider à digérer les aliments a entraîné des visites répétées à l’hôpital et de longues périodes d’infections thoraciques et de diarrhée aiguë, explique sa mère, Mona. »

Mona al-Raqab soulève la chemise de son fils de 5 ans, Osama al-Raqab, révélant des signes de malnutrition et d’aggravation de la mucoviscidose, exacerbée depuis le début de la guerre par la pénurie de viande, de poisson et de comprimés enzymatiques nécessaires pour digérer les aliments.
Mona al-Raqab soulève la chemise de son fils de 5 ans, Osama al-Raqab, révélant des signes de malnutrition et d’aggravation de la mucoviscidose, exacerbée depuis le début de la guerre par la pénurie de viande, de poisson et de comprimés enzymatiques nécessaires pour digérer les aliments. - Abdel Kareem Hana/AP/SIPA

Et d’ajouter : « Avec la famine à Gaza, nous ne mangeons que des lentilles en conserve, dit sa mère. Si les frontières restent fermées, nous perdrons cela aussi. » Osama, 5 ans, ne pèse que 9 kg, et peut à peine bouger ou parler.

Selon le journaliste qui a réalisé ce reportage pour Associated Press, cet enfant souffre bel et bien de mucoviscidose. Toutefois, comme le souligne sa mère, son état est aggravé par l’absence d’une nutrition correcte et suffisante, ainsi que d’un traitement. Elle s’inquiète justement pour la suite, puisque, depuis le 2 mars, Israël bloque toute livraison humanitaire.

Thierry Nouvel, directeur général de « Vaincre la mucoviscidose », confirme à 20 Minutes que, bien que les enfants souffrant de cette maladie soient toujours plus maigres que les autres, « aucun enfant souffrant de la mucoviscidose ne présente cet état-là, sauf s’il n’est pas pris en charge ».

Sans traitement, et sans l’alimentation adéquate, Osama ne peut pas assimiler les graisses. « Manifestement, c’est un enfant qui souffre de malnutrition », ajoute Thierry Nouvel.

9.000 enfants admis ou traités pour malnutrition aiguë en 2025

Le fait que cet enfant souffre de la mucoviscidose ne permet donc pas de nier la famine présente sur place, contrairement à ce qu’affirment les internautes. Ils s’appuient d’ailleurs sur ce fameux article d’Associated Press, alors même qu’il va à l’encontre de leur théorie. Il est titré : « La faim et la malnutrition augmentent à Gaza alors que le blocus israélien laisse peu d’options aux mères. »

Le cas de plusieurs enfants souffrant de malnutrition y est décrit. Et tous ne sont pas touchés par la mucoviscidose ou d’autres maladies. On peut y lire le témoignage de la mère d’Ahmed, 7 ans, qui pèse 8 kg, et dont les « os lui transpercent la peau ».

Ahmed Abdelaal, 7 ans, qui montre des signes de malnutrition, pose pour une photo dans la tente de sa famille dans un camp de déplacés palestiniens à Mawasi Khan Younis, bande de Gaza, le vendredi 2 mai 2025.
Ahmed Abdelaal, 7 ans, qui montre des signes de malnutrition, pose pour une photo dans la tente de sa famille dans un camp de déplacés palestiniens à Mawasi Khan Younis, bande de Gaza, le vendredi 2 mai 2025. - Abdel Kareem Hana/AP/SIPA

Le sujet est largement documenté par les journalistes présents sur place, mais aussi par les associations. Depuis le début de l’année, plus de 9.000 enfants y ont été admis ou traités pour malnutrition aiguë, selon l’Unicef. L’augmentation a été spectaculaire en mars, avec 3.600 cas, soit une augmentation de 80 % par rapport aux 2.000 enfants traités en février.

Notre dossier sur le conflit au Proche-Orient

Médecins du Monde a publié un rapport qui assure que « le manque de nourriture, d’eau et de matériel médical menace dangereusement la survie des Palestiniens ».