France

Une « particule fantôme » surpuissante étrangère à notre galaxie détectée au fond de la Méditerranée

C’est un témoin d’un phénomène mystérieux intervenu en dehors de la Voie lactée. Un neutrino à l’énergie 20 fois plus élevée que tous ceux jamais enregistrés sur Terre a été détecté au fond de la Méditerranée, révèle une étude publiée mercredi dans la revue Nature. Ces particules élémentaires sans charge électrique, qui n’ont quasiment pas de masse et qui n’interagissent que faiblement avec la matière, sont abondantes dans l’univers mais insaisissables. Elles intéressent particulièrement les scientifiques car ce sont des « messagers cosmiques spéciaux », explique Rosa Coniglione, chercheuse à l’Institut italien de physique nucléaire, dans un communiqué accompagnant la publication de l’étude.

Les événements les plus violents de l’univers, comme l’explosion d’une supernova, la fusion de deux étoiles à neutrons ou l’activité autour des trous noirs supermassifs, génèrent des neutrinos dits à « ultra-haute énergie ». Comme ces particules interagissent peu avec la matière, elles peuvent s’échapper des zones denses qui les ont produites, puis voyager en ligne droite à travers l’univers, fournissant ainsi des informations précieuses, inaccessibles par des méthodes plus classiques, sur les phénomènes astrophysiques à leur origine.

Une détection complexe

Ces particules « fantômes » sont cependant extrêmement difficiles à détecter. Pour espérer en attraper quelques-unes au vol, il faut un énorme volume d’eau – au moins un kilomètre cube, l’équivalent de 400.000 piscines olympiques – comme la Méditerranée, qui accueille le Télescope neutrino du kilomètre cubique (KM3NeT), collaboration réunissant 350 scientifiques de 21 pays.

Encore en construction, il est réparti sur deux sites : Arca, dédié à l’astronomie des hautes énergies, à 3.450 mètres de profondeur au large de la Sicile (Italie), et Orca, optimisé pour étudier les propriétés fondamentales du neutrino, à 2.450 mètres de profondeur au large de Toulon (France). On y trouve des câbles de plusieurs centaines de mètres de long et équipés de photomultiplicateurs capables d’amplifier de très petites quantités de lumière.

Une énergie colossale inédite

Pour le neutrino découvert au fond de la Méditerranée, tout a commencé le 13 février 2023, quand un muon -un électron lourd produit par un neutrino- « a traversé tout le détecteur Arca, induisant des signaux dans plus d’un tiers des capteurs actifs », indique le KM3NeT. Le neutrino, à son origine, avait une énergie de 220 pétaélectronvolts (PeV), soit 200 millions de milliards d’électronvolts, un chiffre colossal jamais observé sur Terre.

« C’est à peu près l’énergie d’une balle de ping-pong tombant d’un mètre de hauteur », mais contenue « dans une seule particule élémentaire », a expliqué Aart Heijboer, professeur à l’Institut néerlandais de physique subatomique et membre du KM3NeT, lors d’une conférence de presse. Produire une telle particule nécessiterait un accélérateur « tout autour de la Terre à la distance des satellites géostationnaires », a renchéri Paschal Coyle, directeur de recherche CNRS au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM).

Avec un tel niveau d’énergie, l’origine du neutrino ne peut être que cosmique. La distance de l’événement qui l’a produit « est inconnue », mais « ce dont nous sommes assez sûrs, c’est qu’il ne vient pas de notre galaxie », a souligné Damien Dornic, chercheur au CPPM. Les astrophysiciens ont identifié 12 blazars, des noyaux actifs de galaxie alimentés par des trous noirs supermassifs, potentiellement compatibles.

Une clé de compréhension de l’univers

Il pourrait aussi s’agir de la première détection d’un neutrino « cosmogénique », issu d’« une interaction de rayons cosmiques ultra-énergétiques avec les photons du fond cosmique intergalactique », a expliqué Rosa Coniglione. Ce qui pourrait aider à comprendre « la composition de ces rayons cosmiques » et « l’évolution de l’univers ».

Notre dossier sur l’univers

« A l’époque où cet événement s’est produit, notre système d’alerte aux neutrinos était encore en développement », a noté Aart Heijboer. D’ici à la fin de l’année, lors d’une nouvelle détection, une alerte sera envoyée en quelques secondes « à tous les télescopes du monde entier afin qu’ils puissent pointer dans cette direction » du ciel et chercher une source. De quoi rendre l’univers un peu moins mystérieux…