France

Un plan pandémie « caché » ? Non, un accord de l’OMS en négociation, mais qui soulève des questions

C’est un message d’alerte sur un plan pandémie qui serait « caché ». Selon des publications virales sur les réseaux sociaux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prépare un traité qui permettrait « de contrôler les politiques intérieures » des Etats en cas de future pandémie. Les posts sur Facebook, Twitter invitent à signer une pétition pour s’opposer à la signature par la France de ce plan.

Capture d'écran d'un tweet viral dénonçant le plan pandémie "qu'ils nous cachent".
Capture d’écran d’un tweet viral dénonçant le plan pandémie « qu’ils nous cachent ». – Capture d’écran/Twitter

« Les pays qui ratifieront ce traité seront soumis à une tyrannie sanitaire lors de la survenue d’une nouvelle épidémie décrétée par l’OMS », s’indigne notamment l’infectiologue retraité Stéphane Gayet, radié par l’Ordre des médecins en juillet 2022, dans un tweet partagé plus de 3.400 fois.

La pétition, lancée par une association suisse, l’association internationale pour une santé naturelle, scientifique et humaniste, s’inquiète d’un traité qui pourrait « permettre à une organisation non gouvernementale, l’OMS, d’imposer de nouvelles mesures sanitaires à l’échelle mondiale ». Et défend l’idée que « chaque pays doit pouvoir adapter sa politique sanitaire ».

FAKE OFF

Ce projet d’accord, toujours en discussion, sur la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies n’a rien de caché. Le projet préliminaire sur la table des négociations lors de la dernière session entre le 27 février et le 3 mars 2023 est consultable en ligne.

Le principe d’un accord est connu et a été adopté par l’Assemblée mondiale de la Santé le 1er décembre 2021, avec pour objectif de « renforcer l’architecture mondiale de la santé » afin de mieux lutter contre les pandémies. Depuis, les 194 Etats membres de l’OMS, dont la France, ont mis en place un organe intergouvernemental pour en rédiger et négocier les termes. L’OMS consacre une page de foire aux questions sur le sujet.

Un projet d’accord « intéressant sur certains aspects »

Que contient ce projet d’accord et que signifie-t-il sur le plan international ? S’il est encore un peu tôt pour se prononcer, Hélène De Pooter, maître de conférences en droit public spécialisée en droit international face aux pandémies, à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, souligne qu’il est « intéressant sur certains aspects », mais reste « vague » sur beaucoup d’autres, qui devront être précisés.

Un projet d’accord un peu plus avancé pourrait être formulé par les États d’ici à mai 2023. Le projet d’accord final doit être examiné par l’Assemblée mondiale de la santé en 2024. Elle indique aussi qu’il faut se pencher sur d’autres négociations, menées en parallèle, et qui concernent le Règlement sanitaire international. Adopté en 2005, ce texte doit être modifié pour répondre aux pandémies : 300 amendements ont été déposés dans ce but.

Des réserves émises

Points positifs à la lecture du projet d’accord pour Hélène De Pooter : la promotion de l’approche « Une seule santé » sur la question de l’harmonie entre l’Homme et la nature, bien qu’encore « très imprécise », ou la promotion du partage des pathogènes et des séquences génétiques à l’échelle mondiale. Un thème central des négociations est d’obtenir plus d’équité « afin d’assurer une répartition juste et équitable des produits de santé liés aux pandémies en fonction des risques et des besoins et pas en fonction des capacités de financement », ajoute la maître de conférences.

Cependant, elle émet des réserves sur plusieurs aspects et pointe un projet encore « incomplet », qui pourrait être amélioré sur « la question de la sécurité des laboratoires où sont étudiés des pathogènes dangereux, sur les modalités de conclusion des contrats pharmaceutiques, sur le phénomène de l’infodémie (« épidémie d’information »), sur la question de l’équilibre à trouver entre protection de la santé et préservation des droits de l’Homme ».

Par ailleurs, le projet d’article 15, qui prévoit que le directeur général de l’OMS déclare les pandémies, pose question. « Il faudrait que la responsabilité de déclarer les pandémies soit partagée, détaille-t-elle, et qu’elle émerge d’une large concertation qui puisse laisser place à diverses parties prenantes et qu’elle ne repose pas juste sur les épaules d’une seule personne ».

Réponse « nuancée » sur la perte de souveraineté

Interrogée sur la perte de souveraineté des pays, au cœur des craintes de ceux qui ont pu s’opposer aux mesures sanitaires pendant la pandémie de Covid-19, l’OMS renvoie à son site. Il y est expliqué que ce sont « les gouvernements qui fixeront les dispositions de ce nouvel instrument, le moment venu et s’il est adopté », et qu’ils « prendront les mesures nécessaires en tenant compte de leurs propres lois et règlements ».

Sur ce point, Hélène De Pooter apporte une réponse « nuancée ». Au projet d’article 4, « on a bien une réaffirmation de l’indépendance des Etats dans la définition et la gestion de la santé publique, note-t-elle, mais immédiatement après, le balancier part dans l’autre direction. »

Il est ajouté que « le droit souverain des Etats n’existe que dans la mesure où les activités des Etats ne nuisent pas à leurs populations ni aux autres pays ». « Là, je me pose la question : que signifie nuire ? On a vu pendant la pandémie de Covid-19 que les Etats avaient des politiques très différentes et que le caractère nuisible d’une politique était très discuté. Le mot nuisible me semble être à la merci de considérations idéologiques et politiques. Il est tellement discutable qu’il vaudrait mieux s’en tenir à une référence au respect de la dignité humaine et des droits de l’Homme », commente-t-elle.

Des modalités de prises de décision pas encore connues

L’accord permettrait-il de « contrôler les politiques intérieures » comme le craignent les opposants ? Là encore, la réponse est nuancée, car le projet n’est pas bouclé. Le projet d’article 20 prévoit la création d’une COP, une conférence des parties, sur le modèle des COP climat. « En l’état du texte, la COP serait chargée de définir les politiques dans le cadre de l’accord et serait dotée d’un pouvoir de décision, relève Hélène De Pooter. Ce mot suggère que les actes des COP pourraient avoir un caractère obligatoire, sinon on parlerait de recommandations. »

Problème, les modalités de prise de décisions ne sont pas encore connues. « Chaque Etat partie à l’accord disposera d’une voix, mais est-ce que les décisions seront prises à l’unanimité ? Seront-elles prises sans vote, c’est-à-dire par consensus ? A la majorité ? Auront-elles ou non un caractère obligatoire pour un Etat qui a voté contre la décision ? On n’en sait encore rien. Cela mérite d’être suivi », conclut-elle. Un système de contrôle du respect de l’accord par un organe directeur chargé « d’étudier les cas de non-respect de cet accord » est prévu au projet d’article 22, mais, de même, le texte est en cours de négociations et ses modalités n’ont pas encore été précisées.

Des alertes sur les amendements du Règlement sanitaire international

Autre source d’inquiétude concernant, cette fois, le Règlement sanitaire international : « Plusieurs pays ont déposé des amendements qui, de mon point de vue, donnent une tournure autoritaire au règlement, avec un contrôle renforcé des États et une limitation de leur autonomie », met en garde la maître de conférences en droit public.

Une alerte également partagée par le comité d’examen des amendements, convoqué par le directeur de l’OMS. Ce comité craint que ces amendements « établissent « une procédure quasi judiciaire » et risquent de « porter indûment atteinte à la souveraineté des Etats parties » », rapporte-t-elle. Par exemple, le Bangladesh et la Malaisie ont proposé de donner un caractère obligatoire aux recommandations du secrétariat de l’OMS.

Un comité d’examen sceptique

« Ces amendements vont dans le sens d’un renforcement du pouvoir de l’OMS et d’une réduction de la marge d’appréciation des Etats membres », critique-t-elle, ajoutant que le comité d’examen était aussi sceptique. Les Etats-Unis et le groupe africain ont également proposé de créer des organes pour suivre le respect du règlement et éventuellement interpeller des états qui ne le respecteraient pas.

L’Inde a déposé un amendement « qui semble assez toxique », ajoute-t-elle. Le pays propose « la suppression de la référence au respect de la dignité des personnes, des droits de l’Homme, des libertés fondamentales et veut remplacer ces principes par des concepts, que je trouve flou, comme le concept de cohérence », qui n’existe pas en droit international. « Ce serait une grave régression » si cet amendement était adopté, souligne-t-elle.