Un Noël SDF pour Samira et ses deux enfants, qui n’ont pas trouvé de place au 115
Rouge, vert, bleu, jaune, une quarantaine de tentes jonchent le carrelage froid, certaines posées sur des matelas. Nous sommes à Bagnolet, dans un centre d’hébergement d’urgence où une centaine de personnes a passé Noël, parmi lesquelles Samira* et ses deux enfants de 10 et 13 ans. Il est 10 heures, le soleil envahit la pièce d’une lumière chaude et blanche et Marouane, qui gère le lieu pour le compte de l’association Utopia 56, fait les présentations. Le plus grand des ado de Samira dort encore, profitant du répit accordé par la présence d’une journaliste – ici, tout le monde doit déguerpir normalement aux environs de 9h30 – tandis que la plus jeune regarde un film en arabe sur le portable de sa mère.
Samira et ses enfants sont arrivés en France en septembre 2021. Ils sont partis de Zarzis, en Tunisie, et ont d’abord pris le bateau jusqu’en Italie, en pleine crise sanitaire. La famille est restée en quarantaine pendant vingt-quatre heures puis a payé un passeur pour les amener en France. « Il n’y avait pas de travail en Tunisie. Mon père est mort, ma mère n’a pas de retraite, mon frère qui habite Rochefort (Charente-Maritime) m’envoyait de l’aide », raconte la trentenaire. Le trio a d’abord dormi chez le frère pendant plus de deux ans, puis chez une sœur aux Ulis (Essonne), avant d’être contraints de partir. C’est là qu’ils ont atterri à Bagnolet.
Un peu de musique et des cadeaux pour Noël
Pour Noël, comme tous les centres d’accueil de jour étaient fermés, les bureaux vides qui les hébergent la nuit ont gardé leurs portes ouvertes un peu plus longtemps, jusqu’à 16h30. Les bénéficiaires qui n’ont pas trouvé de place via le numéro d’hébergement d’urgence, le 115, ont pu revenir à 20h30. L’association a distribué des cadeaux pour les enfants, mis un peu de musique, pour créer une ambiance de fête. « C’est important Noël car j’aime les cadeaux. Il n’y avait pas de gros cadeaux, j’aurais bien voulu une boîte de maquillage. J’ai eu un carnet avec des crayons. J’ai dansé », raconte Sophia*, qui à 10 ans, affiche déjà un caractère bien trempé et des préférences nettes.
Samira quant à elle se sent fatiguée. « Mon fils et ma fille ont passé un bon moment avec les autres enfants ici. Pour ma part, que ce soit pendant Noël ou les fêtes musulmanes, je me sens triste car je suis sans logement. » Malgré cela, Noël n’est pas forcément la période la plus rude pour les personnes qui n’ont pas de toit, rappelle Marouane : « L’été il y a presque autant de morts et moins de solidarité. » Le cofondateur d’Utopia 56, Yann Manzi, estime la situation un peu moins difficile depuis quelques semaines, notamment depuis le déblocage de 250 millions pour l’hébergement d’urgence en novembre.
« On est toujours à gauche à droite »
Il n’en reste pas moins que vivre les uns sur les autres à Bagnolet n’est pas du plus confortable, d’autant qu’il n’y a pas de chauffage et pas de douches. Le centre fonctionne avec 15.000 euros de budget pour payer les salariés qui se relaient pour surveiller les locaux. « Il faudrait 22.000 euros par mois pour se permettre plus de confort, estime Marouane, qui juge cependant que c’est « le lieu le plus propre » que l’association n’ait jamais eu. La population locale a par ailleurs bien accueilli l’initiative. Un réseau d’entraide s’est tissé avec les boulangeries du quartier notamment.
Pas facile non plus de repartir à zéro chaque soir, puisque le lieu refait chaque jour le tri dans la population et ne garde que les plus prioritaires, comme tous les centres d’hébergement d’urgence. « On est toujours à gauche à droite. Une fois, on a volé notre valise », raconte Sophia. Utopia 56 accueille aussi des familles dans des conditions plus difficiles encore, comme une famille avec un enfant de 4 ans et un bébé de trois mois, qui n’ont pas trouvé de logement en appelant le 115.
Par étapes, Samira et ses enfants espèrent s’en sortir. Sophia et son frère ont été inscrits à l’école ces deux dernières semaines, ce qui laissera plus de temps à leur mère pour trouver une solution de logement et peut-être un travail au noir, la seule issue pour s’en sortir et espérer in fine décrocher des papiers. Quant au centre, il doit fermer ses portes théoriquement fin avril. D’ici là, il leur faudra trouver un autre généreux donateur susceptible d’ouvrir ses locaux vides.
*Les prénoms ont été changés.