FranceSport

Ultra-trail : Aurélien Sanchez, premier Français à finir la Barkley, a vu cette course démente « comme un jeu »

Un ingénieur en électronique toulousain vient de placer la France dans l’histoire de la Barkley. Cette mythique épreuve d’ultra-trail de 200 km et 20.000 m de dénivelé positif, dans le parc de Frozen Head (Tennessee), n’avait jusque-là connu que 15 finishers en 36 années d’existence. A 32 ans, Aurélien Sanchez a su gérer la fameuse barrière horaire de 60 heures propre à cette course de cinq boucles de 40 km où seules carte et boussole sont admises, en rejoignant la barrière jaune vendredi après 58h23 d’une incroyable aventure.

Cet athlète amateur, qui avait déjà fait tomber le record du John Muir Trail sans assistance en 2018 en Californie (359 kilomètres, 14.000 m de D + en 3 jours, 3 heures et 55 minutes) mais aussi parcouru l’intégralité du GR10 dans les Pyrénées en 2020 (930 km et 55.000 m de D + en 12 jours, 5 heures et 22 minutes), s’est longuement confié à 20 Minutes après sa première tentative payante sur la Barkley, considérée comme la course la plus dure au monde.

Comment vous sentez-vous, moins de deux jours après avoir bouclé la course d’une vie en plus de 58 heures d’efforts ?

Comme j’ai bien géré ma course, je n’ai finalement pas tant de courbatures que ça. J’étais dans la forme de ma vie, avec très peu de doutes. Je n’ai jamais eu de gros moment de douleurs, c’était incroyable.

Depuis quand avez-vous en tête ce défi fou sur la Barkley, qui n’avait pas connu le moindre finisher depuis 2017 ?

Le projet a justement débuté pour moi peu avant, lorsque j’ai commencé à vivre à Phoenix (Arizona, de 2016 à 2019). J’ai pris goût aux randonnées de plus en plus longues, jusqu’à 100 km à la journée dans le Grand Canyon. Sur place, les gens m’ont dit une fois que j’étais inconscient de me lancer sur une si longue rando à la journée, que j’allais droit dans le mur. Ce jour-là, j’ai eu un déclic et j’ai eu envie de découvrir mes limites en me donnant des objectifs, et en commençant à m’entraîner la semaine. Depuis l’édition 2017, marquée par le drame de Gary Robbins, qui avait fini six secondes après la barrière horaire, j’ai tout fait chaque année pour essayer d’être sélectionné. Cet événement avec beaucoup de dénivelé, à la limite du possible, m’a tout de suite parlé.

Aurélien Sanchez, ici juste avant le départ de la Barkley, qui fait déjà office de consécration dans sa jeune carrière d'ultra-traileur.
Aurélien Sanchez, ici juste avant le départ de la Barkley, qui fait déjà office de consécration dans sa jeune carrière d’ultra-traileur. – Alexandre Ricaud

Comment avez-vous vécu ces refus de votre candidature sur les cinq précédentes éditions de l’épreuve ?

C’était très frustrant mais c’était une bonne leçon de modestie. L’atypique directeur de course Lazarus Lake a ses critères pour retenir seulement 40 coureurs chaque année, et ce afin de préserver le parc de Frozen Head. Il veut que ça reste authentique et éviter que des sentiers se créent. Etre retenu était hors de mon contrôle donc je me suis un peu écarté de cette course, pour me concentrer par exemple sur la Chartreuse Terminorum en 2022, qui est très similaire à la Barkley en France, et sans le moindre finisher en six ans d’existence. Mais quand j’ai été pris pour la Barkley en fin d’année 2022, c’était un rêve qui se concrétisait.

Dans quelle mesure avez-vous alors accéléré toute votre préparation ?

Je me suis habitué à l’orientation, de jour et de nuit, ainsi qu’à une préparation physique et mentale adéquate. Je n’ai rien négligé. L’idée, c’est de s’attendre au pire, tant sur une météo pourrie que sur des souffrances en montées, pour être dans les meilleures conditions possibles. J’ai analysé le défi sous toutes les variables. Donc quand je me suis perdu plusieurs fois sur le parcours au moment de trouver les livres, dans lesquels on doit arracher la page prouvant notre passage à chaque tour, je n’ai pas paniqué, je ne me suis pas mis à courir dans tous les sens.

Est-ce cette problématique de navigation qui fait de la Barkley la course la plus dure au monde ?

Oui, ça plus le dénivelé. Chaque erreur de navigation coûte du temps et de l’énergie. Surtout que les alternances de sens sur les tours changent complètement la donne pour pouvoir retrouver les livres. On perd vraiment ses repères. En janvier, je me suis heureusement mis à la boussole dans les Pyrénées tous les week-ends, avec des boucles hors sentier, y compris de nuit.

Comment se prépare-t-on au mieux aux efforts sur le parcours de la Barkley alors que ce parc est interdit d’accès durant tout le reste de l’année ?

Vu que c’était ma première participation, il fallait vraiment que j’apprenne le parcours par cœur et que je gagne en autonomie. Donc cette carte du parc, je la connais en long, en large et en travers. Ma chérie n’en revenait pas mais j’ai passé des heures et des heures dessus à la maison pour être au fait du moindre rocher pouvant me permettre de me repérer le jour J.

Toute l’histoire autour de cette course, inspirée de la fuite dans les bois de l’assassin de Martin Luther King en 1977, n’est-elle pas intimidante pour une première participation ?

Les médias ont un rôle important dans la perception qu’on a du parc. On ressent tous des frissons en arrivant ici. Mais avec tous les rapports de course que j’ai lus, je n’avais aucune anxiété sur le défi, pas même pour les deux nuits à passer dehors. Je savais dans quoi je me lançais et je savais qu’il allait y avoir beaucoup plus de plaisir que de souffrance pour moi. OK, ça dure longtemps mais je voyais ça comme un jeu. Le parc est magnifique et le sentier est super cool. Au final, on est là pour trouver des bouquins et s’entraider.

Existe-t-il vraiment de l’entraide sur un tel ultra-trail ?

Oui, ça m’est arrivé plusieurs fois de montrer à des coureurs, la nuit, où se trouvait le bouquin qu’ils visaient. On se bat contre la course elle-même, et pas contre les coureurs. On sait bien qu’elle n’avait jamais été terminée depuis six ans. C’est un peu donnant donnant, si on aide un coureur à trouver un livre, il sera forcément un bon appui lorsqu’on aura des moments de doute, ou le besoin d’être aidé sur la navigation d’une autre section. Il y a un vrai esprit d’équipe. D’ailleurs, le scénario idéal pour moi aurait été de finir avec Guillaume Calmette [victime de douleurs au tendon d’Achille dans sa troisième boucle], avec qui je me suis entraîné dur pendant deux mois, et qui a été un soutien énorme pour moi.

Comment gère-t-on la problématique du sommeil lorsqu’on se lance pour près de 60 heures sur une course aussi éreintante ?

Tout le monde a une stratégie différente sur ce point. Certains dorment sur le parcours, d’autres au camp. Je n’avais rien prévu, je me suis adapté à mes besoins le jour J. Je voulais surtout dormir de nuit. Bon, en l’occurrence, j’ai dormi seulement quinze minutes entre les boucles 3 et 4, et c’est tout. Cette sieste a eu un effet reset sur moi, afin d’être plus lucide lors de la deuxième nuit de course. Ce n’est pas comme une nuit entière, mais quand je me suis levé, j’avais presque l’impression de repartir sur une nouvelle course, c’était incroyable. C’est vraiment efficace, ces micro-siestes (sourire).

Ça vous a mis à l’abri des hallucinations assez classiques pour un tel ultra ?

Pas totalement, car avec la fatigue, l’inconscient transforme un peu des choses. Dans les bois, la deuxième nuit, des bruits dans ma tête se transformaient en voix inaudibles, comme si des randonneurs parlaient non loin de moi. J’avais l’impression que Guillaume [Calmette] s’exprimait à mes côtés alors qu’il avait abandonné, c’était perturbant. Et puis je voyais des randonneurs un peu partout, alors que ce n’était que des rochers et des arbres. Comme on titubait un peu dans la boucle 4 avec Karel Sabbe [coureur belge finisher lui aussi vendredi], on s’est mis à crier dans les bois pour se rebooster. Sur la Barkley, on est dans notre bulle, dans notre monde, dans une autre dimension, c’est vraiment exceptionnel.

Tout comme le fait de devenir le premier Français finisher, après 37 années de Barkley…

J’ai encore un peu du mal à réaliser. Ça fait bizarre de se dire qu’on est le premier Français mais c’est surtout un concours de circonstances. En tout cas, j’ai toujours cru à ce défi que je ne trouvais pas irréalisable. Ça fait six ans que je bosse pour ça et c’est une consécration incroyable.

D’autant que vous restez un athlète amateur, qui a dû investir beaucoup d’argent pour ces deux semaines aux Etats-Unis, avec à la clé aucun prize money ni même médaille sur la Barkley…

Je ne suis pas sportif professionnel et je ne veux pas le devenir. C’est ma passion et la réussite sur la Barkley va au-delà des moyens logistiques et matériels qu’on peut avoir. Il faut être convaincu du défi. Moi, j’ai ça dans le sang depuis six ans. On se demande souvent quand François D’Haene et Kilian Jornet viendront tout exploser ici. La question est de savoir s’ils sont prêts à se pencher sur ce défi au point de connaître le parc par cœur et de lire les rapports de course. C’est une passion atypique, je suis tombé dans la marmite comme Obélix. Ce n’est pas une question d’être professionnel ou pas mais d’être habité par le défi.

Comment expliquez-vous ce succès à Frozen Head, six mois après votre 450e place sur la Diagonale des Fous (165 km et 10.210 m de dénivelé positif en 42h41 à La Réunion) ?

Je voulais terminer la Diagonale en 30 heures mais je ne m’étais pas donné les moyens de préparation pour le faire et j’ai complètement explosé à mi-parcours. Je reste fier d’avoir fini cet ultra mais c’est sûr que j’ai moins d’affinités avec ces formats de courses comme la Diag’ ou l’UTMB. Ce n’est pas là où je me régale et où je performe. Je manque de rapidité, et ce qui me plaît, c’est le hors sentier très pentu, très lent et technique. Je marche vite sur le terrain de la Barkley, où j’ai d’ailleurs marché et non couru 80 % du temps. A partir des efforts de 48 heures en autosuffisance, avec un gros dénivelé et le plus de variables à gérer entre le sommeil, l’alimentation et la navigation, c’est davantage pour moi.

Après avoir atteint le Graal de la Barkley, s’imagine-t-on vraiment revenir un jour dans le Tennessee ?

Certains coureurs ont tellement ce besoin de boucler la Barkley que ça reste presque une torture tant qu’ils ne l’ont pas finie. Et une fois qu’ils y sont parvenus, c’est un peu comme une délivrance et ils passent à autre chose. Moi, j’ai pris beaucoup de plaisir, je me suis vraiment régalé sur toute la course et je sais que je reviendrai sur l’événement. Même si des médias parlent d’une course sadique, je ne ressors pas du tout traumatisé.