France

UE : Le méga plan de relance allemand à 500 milliards, catastrophe ou bénédiction pour l’économie française ?

Au tribunal des questions macroéconomiques,

Messieurs dames les jurés, nous sommes ici réunis pour une affaire exceptionnelle. Réputée pour sa rigueur budgétaire, l’Allemagne prévoit un méga plan de relance de 500 milliards d’euros. Oui, 500 milliards ! Le tout pour des investissements nationaux « dans l’énergie, l’armée et les infrastructures ». La semaine dernière, les deux chambres du Parlement, le Bundestag et le Bundesrat, ont donné leur feu vert, mettant fin à des décennies de conservatisme économique.

Les Allemands qui veulent creuser de la dette, en voilà un procès historique. Car il est temps de trancher : Berlin va-t-elle se montrer coupable avec ce plan de relance, plombant l’économie française ? Ou au contraire, doit-elle être innocentée ? La parole est à l’accusation.

Oui, l’Allemagne est coupable

Messieurs dames les jurés, nous nous sommes autoflagellés depuis des années sur la dette française, ce n’est pas pour fêter aujourd’hui la décision allemande. Une dette, quel que soit le pays, est une catastrophe, veut croire Marc Touati, conseiller économique chez Etoro. Résumons pour l’audience. Jusqu’à présent en Europe, c’était la France – et sa dette colossale – qui émettait le plus d’obligations d’Etat. Les marchés financiers se chargent de rembourser, moyennant des intérêts. L’Allemagne, qui a écarté la piste des impôts pour rembourser ses investissements, va donc à son tour produire massivement des obligations d’Etat pour sa nouvelle dette.

C’est un coup de poignard contre la France, votre honneur. Car « les investisseurs auront tout intérêt à se placer plutôt sur la dette allemande, notée AAA, et non celle de la France. Elle est notée AA- et pourrait passer à tout moment à A », alerte Marc Touati. Cette préférence pour la sécurité germanique pourrait bel et bien faire mal à la France. « Les investisseurs restants proposeront des taux d’intérêt plus haut avant de s’engager dans une dette plus risquée à rembourser que celle de l’Allemagne », poursuit Marc Touati. Des taux d’intérêt qui augmentent, « cela casse la consommation, la croissance et l’économie. » N’en jetez plus, le crime est là, sous nos yeux.

A vrai dire, les premières blessures sont déjà constatées. Marc Touati se transforme en médecin légiste de l’économie : « Depuis que l’Allemagne a évoqué son plan de relance, avant même qu’il ne soit validé, les taux d’intérêt de tous les pays européens ont augmenté, par effet domino. » Dont ceux pour la France.

Dernier chef d’accusation, la piste du crime réputationnel. Quelle image l’Europe renvoie-t-elle si même l’Allemagne s’en moque de voir son déficit s’envoler ? « La crédibilité de la Zone Euro tenait en partie grâce au sérieux budgétaire de Berlin. Quelle confiance les marchés vont-ils avoir si les deux plus grosses économies s’endettent massivement, sans avoir un plan bien établi sur le remboursement ? Cela pourrait coûter cher en investissement ».

L’Allemagne est innocente (et mieux encore, une bénédiction)

Dans la morne économie européenne, le géant allemand se réveille enfin, et on voudrait directement le jeter en prison ? Jacques Le Cacheux, professeur émérite à l’université de Pau, à la barre : « La quatrième puissance mondiale – et la première du Vieux continent –, en récession depuis deux ans, va retrouver de la croissance… Cela ne peut être qu’une bonne nouvelle pour la France. » L’Allemagne est de loin notre premier partenaire commercial avec 14 % des échanges, étant à la fois premier exportateur et premier importateur. Le second, la Chine, ne pèse que 8 % des échanges.

Deuxième point non négligeable : l’Allemagne va un peu nous lâcher sur notre dette. Ce qui, selon l’Article 3, alinéa 2 du Code pénal économique, « fait toujours plaisir ».

Dernier argument de cette plaidoirie : des investissements en Allemagne, notamment auprès d’infrastructures très vétustes, étaient « un vœu pieux de la part des économistes et des autres pays européens, qui plaidaient pour plus d’investissement allemand. Maintenant qu’ils le font, ne boudons pas notre plaisir. »

La conclusion de l’avocate générale Christine Erhel, économiste au Conservatoire National des Arts et Métiers

« A court terme, il peut y avoir des effets négatifs, comme effectivement une hausse des taux d’intérêt français. Mais la relance allemande me semble, à plus long terme, une potentielle bonne nouvelle pour l’économie française. De toute manière, il est temps de changer d’échelle et de ne plus questionner l’Allemagne ou la France, mais bien l’Union Européenne. Si la décision de Berlin incite les Vingt-Sept à investir massivement, cela pourrait avoir de sacrées conséquences. Ce qui est sûr, c’est que le débat est désormais ouvert après des décennies de blocage allemand et d’orthodoxie budgétaire triste. A voir ce que l’Europe tranche. »