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Tunisie : L’arrestation de Ghannouchi traduit une « dérive autoritaire » du pays

Les autorités tunisiennes ont arrêté ce lundi le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi, l’un des principaux opposants au président Kais Saied. De fait, le gouvernement tunisien est accusé par ses opposants, mais aussi des ONG internationales, de dérive autoritaire. 20 Minutes se penche sur la situation.

Qu’est-il arrivé à Rached Ghannouchi ?

Rached Ghannouchi a été arrêté par des policiers à son domicile à Tunis. Le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, l’un des principaux opposants au président Kais Saied, a été emmené dans une caserne de police pour un interrogatoire. Dans un communiqué, Ennahdah a dénoncé « ce développement extrêmement grave » et appelé à sa « libération immédiate ».

Le vice-président du parti, Mondher Lounissi, a affirmé lors d’une conférence de presse que les avocats de la figure de proue d’Ennahdha n’avaient pas été autorisés à assister à son interrogatoire. Son arrestation survient après des déclarations rapportées par des médias, dans lesquelles Rached Ghannouchi, 81 ans, a affirmé ce week-end que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si l’islam politique, dont est issu son parti, y était éliminé.

Une source au ministère de l’Intérieur citée par les médias tunisiens a confirmé que son arrestation était liée à ces déclarations. L’octogénaire avait comparu en février au pôle judiciaire antiterroriste à la suite d’une plainte l’accusant d’avoir traité les policiers de « tyrans ». L’opposant, bête noire du président Saied, avait également été entendu en novembre 2022 par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l’envoi présumé de djihadistes en Syrie et en Irak. En juillet de la même année, il avait aussi été interrogé pour des soupçons de corruption et blanchiment d’argent liés à des transferts de fonds depuis l’étranger vers une organisation caritative affiliée à Ennahdha.

Qui est Rached Ghannouchi ?

Opposant de premier plan sous les régimes de Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali, le retour au pays de Rached Ghannouchi après vingt ans d’exil passés à Londres, à la suite de la chute du dictateur en 2011, avait été célébré par des milliers de personnes. Mais son étoile a progressivement pâli depuis la révolution, ses détracteurs l’accusant d’être un manœuvrier pragmatique prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.

A défaut de pouvoir réunir une majorité absolue, il s’est toujours arrangé pour qu’Ennahdha soit incontournable dans les différentes coalitions depuis la révolution. Quitte à passer des alliances contre nature avec le parti libéral Qalb Tounes de l’homme d’affaires Nabil Karoui, ou avec l’ancien président Béji Caïd Essebsi, en arguant de la nécessité d’un « consensus » nécessaire à la transition démocratique.

Au début de son parcours, il s’était d’abord inspiré des Frères musulmans égyptiens, avant de se réclamer du modèle islamiste turc de Recep Tayyip Erdogan. Il a ensuite fait muer Ennahdha en mouvement civil, censé depuis 2016 n’être consacré qu’à la politique, et s’affiche depuis comme un « démocrate musulman » défendant des valeurs conservatrices sans dogmatisme.

Est-il le seul opposant incarcéré ?

Depuis début février, les autorités ont incarcéré plus de vingt opposants et des personnalités parmi lesquelles des ex-ministres, des hommes d’affaires et le patron de la radio la plus écoutée du pays, Mosaïque FM. Ces arrestations, dénoncées par des ONG locales et internationales, ont visé des figures politiques de premier plan du Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposition dont fait partie Ennahdha.

Kaid Saied a qualifié la vingtaine de personnes arrêtées de « terroristes », les accusant de « complot contre la sécurité de l’Etat ». Amnesty International (AI) a appelé les autorités tunisiennes à libérer ces personnalités, détenues pour des soupçons « infondés » de complot contre la sûreté de l’Etat.

La Tunisie fait-elle face à une crise démocratique ?

Kaid Saied, 65 ans, élu démocratiquement à la présidence en 2019, concentre tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021. Malgré l’entrée en fonction d’un nouveau Parlement en mars – largement privé de ses prérogatives antérieures – le président continue de diriger le pays par décrets.

Après son coup de force, il a fait réviser la Constitution pour instaurer un système ultra-présidentialiste aux dépens du Parlement, qui ne dispose plus de réels pouvoirs, contrairement à l’Assemblée dissoute dominée par Ennahdha. Les ONG et les principaux partis d’opposition ont dénoncé une « dérive autoritaire » en Tunisie, faisant vaciller la jeune démocratie issue de la première révolte du Printemps arabe en 2011.

« L’arrestation du chef du plus important parti politique au pays, et qui a toujours montré son attachement à l’action politique pacifique, marque une nouvelle phase dans la crise », a réagi lundi soir le président du FSN, Ahmed Néjib Chebbi. « Cela relève de la vengeance aveugle contre les opposants », a-t-il estimé.