France

Toulouse : Le « Projet Mobilités » annulé par la justice, est-ce si grave ?

C’est un peu comme si les amateurs du Pays de Cassel avaient battu le PSG. Après quatre ans et demi de bataille juridique, l’association 2pieds 2roues (2P2R), fervente défenseuse des modes doux, vient d’obtenir l’annulation par la justice du Projet Mobilités (ou PDU – Plan de déplacements urbains sous son ancienne appellation). Ce document, voté en 2018 par Tisséo après des années de concertation avec 115 communes du Grand Toulouse, constituait la « feuille de route », la « boussole » pour les 3,8 milliards (estimation de l’époque) d’investissements dans les transports prévus pour la période 2020-2025-2030.

Cette annulation est définitive. Jean-Michel Lattes, le président de Tisséo, a en effet décidé de ne pas se pouvoir devant le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. « Je crois que ça suffit maintenant et qu’il est bon d’avancer », dit celui qui est aussi professeur de droit.

Pourquoi a-t-il été annulé ?

Quand elle a lancé la procédure, l’association 2P2R avait deux griefs contre le PDU de 2018. Elle considérait qu’il n’était pas assez ambitieux en matière de développement des déplacements à pied ou à vélo, et qu’il ne permettait pas de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Contre toute attente, c’est sur un troisième point que le tribunal administratif de Toulouse en janvier 2021, puis la cour administrative d’appel jeudi dernier, ont fondé leur annulation : l’absence « de solutions de substitution raisonnables ».

Autrement dit, Tisséo, en concluant qu’il fallait construire une troisième ligne de métro, aurait par exemple dû prouver, étude à l’appui, qu’il n’y avait pas de solution alternative plus efficace. Les juges citent même le scénario alternatif de « l’étoile ferroviaire », en mode RER, désormais bien installé dans le débat politique. « Or, le métro est une ligne figée dans l’espace, alors que l’étoile ferroviaire peut rendre service à de nombreux habitants de l’agglomération, notamment ceux de la 2e couronne, et ce dans toutes les directions », abonde Boris Kozlow, le président de 2P2R.

Des projets peuvent-ils en souffrir ?

Théoriquement, c’est désormais le PDU de 2012 qui s’applique. Mais la plupart des grands projets du PDU 2018 sont lancés. Le téléphérique s’est envolé, la capacité de la ligne A a été doublée, dix lignes de bus rapides Linéo sont en service, le tram est prolongé jusqu’au Meet, le nouveau parc des expos, et les premiers coups de pioches de la ligne C du métro ont été donnés en décembre. « Juste avant ces travaux inauguraux, un collectif nous a attaqués en justice pour les faire arrêter au motif que le PDU avait été annulé en première instance, rappelle Jean-Michel Lattes. Le juge n’a pas retenu l’argument, il a estimé que le PDU est un instrument de planification et qu’il n’impacte pas l’autonomie juridique des projets ». Mais alors, la portée du PDU ne serait-elle que symbolique ? « Son annulation est surtout symbolique du fait qu’ils n’ont pas travaillé, qu’il y avait un problème de méthode et qu’il faut réfléchir autrement qu’avec des œillères », attaque Boris Kozlow.

Même Jean-Michel Lattes ne veut pas dévaloriser le document. « La situation actuelle n’est pas naturelle. C’est un document indispensable. Il fait référence pour beaucoup de choses – la voirie, la circulation, le stationnement, le transport de marchandise – et donc pour beaucoup d’acteurs », plaide-t-il.

Par ailleurs, des projets plus modestes que la ligne C du métro, mais indispensables pour certains habitants, comme la ligne de bus express entre Toulouse et Muret, ne peuvent plus se prévaloir de la concertation publique faite pour un PDU annulé. Il va donc falloir une nouvelle et importante concertation pour les mener à bien pendant la longue période de « vide juridique ».

Et maintenant ?

Tisséo a décidé, bien avant l’annulation définitive par le tribunal, de s’atteler à un nouveau Projet Mobilités pour « la décennie 2030-2040 ». Il s’appuiera sur la fameuse « enquête ménages » lancée en décembre. Une étude « chère, lourde mais précise » des modes de déplacements des habitants du périmètre des transports en commun, alors que les derniers chiffres, sur l’utilisation des vélos par exemple, datent de plus de dix ans.

« Nous veillerons particulièrement aux solutions alternatives raisonnables », assure, échaudé, le président de l’autorité organisatrice des transports en commun. « Et nous contribuerons, avec nos moyens, en défendant les modes actifs, bien combinés », annonce Boris Kozlow, qui juge qu’il « y a encore trop de projets routiers dans les tiroirs de la métropole ».