France

Toulouse : Dealers, incivilités… Des agents privés créent des « bulles de tranquillité » dans les barres HLM

La volée « d’étourneaux » est systématique. Dès que les monospaces arrivent en cortège en vue des barres, des jeunes, prévenus par des cris, sortent des halls et des parkings en portant leurs chaises branlantes. Les « dealers résidents », parfois adolescents, évacuent les limites de la propriété. Ils s’en vont faire leur business ailleurs, sous d’autres balcons, le temps que les hommes et femmes en gris, oreillettes calées, gilets pare-balles bien serrés, inspectent les coursives, les parties communes, les placards techniques, les boîtes aux lettres dont la porte n’est pas verrouillée. La troupe prend bien garde de marcher sous les parapets. « On ne sait jamais », mieux vaut éviter les chutes d’objets divers destinées à saluer leur débarquement.

Malgré les apparences, les membres de l’équipe « Alpha », qui se déploie dans les coursives, ou de l’équipe « Charlie », en surveillance sur le parking, près du maître-chien et de son malinois, ne sont pas des policiers. Ce sont les agents du Groupement interquartiers de tranquillité et sûreté (GITeS), une société privée dont cinq bailleurs sociaux toulousains ont décidé de « mutualiser » les services. Ils surveillent 35 résidences dans la Ville rose, des milliers d’appartements en tout, notamment au Mirail. Ce qui, en plus de la matraque télescopique et de la bombe lacrymogène, les oblige à trimballer d’énormes trousseaux de clés avec leurs codes couleurs.

« Ça nous libère les espaces »

Ce jour-là au Tintoret, immeuble « prioritaire » de Bellefontaine, les dealers râlent pour le principe mais ils finissent par poser leur chaise de l’autre côté de la route. « Ils savent qu’on n’est pas là pour les stups », glisse Rémi Vincent, le directeur du GITes. Sa préoccupation, c’est la propreté des halls et la « tranquillité » des habitants. Le premier point est coché, sans souci, « plus de canapés ou de détritus » dans les parties communes, même si dans les hauteurs, les lampes d’un couloir peintes en rouge indiquent un point de deal pour l’heure déserté. Côté tranquillité, en dehors de cet habitant, qui prend la peine de crier « je ne suis pas un chouf ! » avant de dévaler l’escalier, les locataires saluent cordialement les agents du GIteS et réciproquement. Bernadette Yépé, présidente de l’association « Lien horizons danse », qui tient une permanence au Tintoret, les salue même avec enthousiasme en cette fin d’après-midi. « Heureusement qu’ils sont là ! assure-t-elle. Parce que quand ils arrivent à cette heure-là, c’est aussi l’heure où on accueille des groupes d’enfants pour l’aide aux devoirs. Ils peuvent passer et rentrer en toute sécurité, ça nous libère les espaces et ils ne voient pas le spectacle ».

Quelques minutes plus tard, nouveau débarquement dans une autre résidence, plus « chaude », un peu moins propre aussi. Et même sortie polie des dealers, encore plus jeunes. Non seulement ils disent bonjour, mais ils font le ménage. « Tu peux prendre ça aussi s’il te plaît », lance fermement le chef de groupe. Un ordre est passé entre le jeune trafiquant et son acolyte. Et hop, voilà la vieille cafetière, bizarrement tombée à l’instant d’une fenêtre, rangée au pied du container recyclage. « Tant qu’on est là, ils savent qu’il faut qu’ils ramassent leurs affaires », explique le gendarme à la retraite qui ne s’est pas départi de son autorité. Et sinon ? « Sinon on va passer plus souvent et plus longtemps ». Le GITeS peut arriver à tout moment, de 16 heures à minuit. Et pendant qu’il est là, « la bulle de tranquillité » est opérationnelle.

Les PV sur le point de tomber

Depuis le 1er mars, les agents toulousains sont les seuls d’une société privée en France, à pouvoir aussi procéder à des verbalisations. Du moment qu’elle est en lien avec la dégradation du bâtiment, donc dans la veine des dépôts sauvages, jets d’ordure ou d’urine, des crachats. Mais en une dizaine de jours, aucun des agents assermentés n’a encore sorti le carnet à souches. Il n’y a pas eu d’incivilité en flag. Mais Morgane, cheffe de groupe passée par la police, est persuadée que l’occasion se présentera bientôt.  « Au bout d’un moment, il faut aussi en passer par la répression », dit-elle. Elle songe notamment aux épaves qui jonchent certains parkings et « aux locataires qui paient leur place » obligés de les côtoyer. Cette « ancienne » de GITeS a fini aux urgences la semaine dernière, touchée par un pavé lancé par un jeune aviné à qui elle demandait de ramasser des détritus. Pourtant, elle ne s’inquiète pas d’une montée en tension au premier PV. Elle a connu il y a quatre ans, le temps où les dealers ne s’envolaient pas tout de suite, puis celle des maîtres-chiens maison. Elle sait qu’avec « des explications », les « agents de sûreté résidentielle » pourront continuer à tranquilliser les habitants. Et à passer la main quand il le faudra.

Souvent, les placards électriques des coursives servent de planque pour le cannabis.
Souvent, les placards électriques des coursives servent de planque pour le cannabis. – H. Ménal

Ce jour-là, dans la deuxième résidence, l’évacuation a eu lieu trop vite. Il restait un sachet de cannabis dans un placard électrique. Une patrouille de police de la brigade spécialisée de terrain (BST) est venue le chercher. Le GîTes est allé lui créer une autre bulle, au pied d’une autre barre.