« The Substance » : Pourquoi la Française Coralie Fargeat a dû aller à Hollywood pour assouvir sa folie gore
Attention ! The Substance de Coralie Fargeat, récompensé par le Prix du scénario au Festival de Cannes est un électrochoc. La réalisatrice de Revenge a poussé le curseur de la violence nettement plus loin pour secouer les spectateurs. Au centre de l’intrigue : une drogue expérimentale vendue secrètement aide les personnes qui la consomment à retrouver leur jeunesse. Seule obligation : respecter des règles draconiennes pour conserver un corps de rêve.
« J’ai joué sur les diktats jeunistes que la société impose aux femmes, confie Coralie Fargeat à 20 Minutes. Et j’ai choisi d’aller le plus loin possible pour évoquer la peur du vieillissement qui tenaille la plupart d’entre nous ». Demi Moore, Margaret Qualley et Dennis Quaid plongent tête la première dans l’univers cauchemardesque de la cinéaste. Son film, plébiscité aux Etats-Unis où il est sorti en septembre dernier, dérange profondément, et ça fait du bien. « Les Américains adorent le fait que ce ne soit pas formaté, que ça ne ressemble pas à la énième version d’un truc déjà vu », analyse-t-elle.
Entre France et Etats-Unis
La singularité de son projet et son style qu’elle définit comme « une folle folie libératrice » l’ont contrainte à chercher des investisseurs à l’étranger. « Je savais qu’en France, je serais limitée par la loi du marché et qu’on ne me donnerait jamais le budget nécessaire pour le réaliser, explique la cinéaste. Le fait que Revenge, mon premier long métrage, ait eu du succès aux Etats-Unis m’a ouvert pas mal de portes là-bas. Il y avait une vraie appétence pour mon cinéma outre-Atlantique ».
Coralie Fargeat a trouvé un financement et des stars américaines mais a choisi de tourner en France, histoire de conserver son équipe et de garder un pied en Europe. « Je me suis donné les moyens de ma liberté car le plus gros risque que j’ai pris a été de rester totalement moi-même. Mon équipe a soutenu mon ambition plutôt que d’essayer de la contenir ». Quitte à faire appel au Système D et se retrouver couverte de (faux) sang après certaines prises…
Un cinéma de genre provocateur
La liberté de ton qui caractérise The Substance vient sans doute du fait qu’elle a pu bénéficier du meilleur des deux mondes. Cela donne une œuvre hybride à la fois horrifique et féministe, intello et divertissante. « Il ne s’agit pas d’un film d’horreur avec des jumpscares, dit Coralie Fargeat. C’est du cinéma de genre, atypique et provocateur ce qui fait qu’il ne rentre dans aucune case ». Cette originalité paye tant The Substance en fait voir de toutes les couleurs – avec une prédilection pour le rouge – au spectateur.
Ce festival de prothèses très réussies sur des corps aux transformations impressionnantes invite à une réflexion sur le physique des femmes et les tortures auxquelles elles se soumettent pour gommer l’outrage du temps. On pense à David Cronenberg, roi du body-horror, mais Coralie Fargeat apporte une touche féministe assumée et bienvenue à son jeu de massacre.
Une violence jubilatoire
« Cette violence je la vois comme assez jubilatoire, assez fantasmagorique, précise Coralie Fargeat. Ce n’est pas une violence réaliste qui fait mal. C’est une violence fun ». En France, son avis est partagé par la Commission de classification. The Substance n’est interdit aux moins de 12 ans avec avertissement, à l’heure où des œuvres comme Terrifier 3 et Smile 2 écopent respectivement d’interdictions aux moins de 18 ans et de 16 ans.
La grande différence vient aussi des ambitions de The Substance qui s’affranchit des limites du Grand Guignol pour parler de la place des femmes avec un beau sens de l’humour noir. « Cela m’amuse de voir les réactions choquées ou horrifiées du public, précise la cinéaste, car j’adore les films d’horreur. Si je n’ai pas le moindre mépris pour le cinéma de genre pur et dur, j’avais envie de donner à penser au public qui va voir mon film. Qui serait prêt à essayer la Substance ? » Au vu des possibles effets secondaires, on passe notre tour.
Un maelstrom unique
Bien que les propositions affluent, il n’est pas question pour la réalisatrice de baisser sa garde, ni de changer de cap. « En fait, je me sens à ma place avec l’envie de continuer à faire ce que j’aime de la manière qui me plaît. Hollywood continuera sans doute à faire partie de mon ADN mais je mélangerai mes rêves de cinéma américain avec mes influences de Française et d’Européenne en un maelstrom unique ». Ce mélange corsé pourrait bien conduire Coralie Fargeat et The Substance jusqu’aux Oscars.