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Tennis : La WTA de retour en Chine, entre « cynisme » et « intérêts »

Une annonce surprenante sur la forme, beaucoup moins sur le fond. La WTA, le circuit professionnel de tennis féminin, a annoncé jeudi dernier son grand retour en Chine. « La WTA lève la suspension de l’organisation de tournois en Chine et les tournois reprendront en Chine ce mois de septembre », a-t-elle annoncé via un communiqué. Elle était pourtant absente du pays depuis 2020 à cause du Covid, et avait conditionné son retour à la résolution de l’affaire Peng Shuai. L’ancienne numéro 14 mondiale, avait subitement disparu après avoir accusé d’agression sexuelle un haut dirigeant du parti communiste chinois, avant de réapparaître quelques mois plus tard à l’occasion des JO de Pékin, puis d’être de nouveau gommée du paysage.

En janvier dernier encore, la WTA demandait à s’entretenir personnellement avec la joueuse, sans succès. Leurs demandes d’ouverture d’une enquête n’en rencontraient pas plus. Au point d’acter leur échec. « Nous avons conclu que nous ne parviendrons pas pleinement à atteindre nos objectifs et que ce serait nos joueuses et nos tournois qui en paieraient le prix », poursuit l’organisation dans le communiqué, actant officiellement une forme d’impuissance.

La WTA revient en Chine « dès la première opportunité »

Une décision « surprenante » pour Mark Dreyer, analyste du sport basé en Chine pour China Sports Insider, et bon connaisseur du dossier Peng Shuai. « Ça fait 16 mois que la WTA demande une enquête, mais tout le monde sait bien que la Chine n’aurait jamais accepté. Ils auraient pu demander pendant 16 millions d’années, la Chine n’aurait toujours pas accepté, donc je ne comprends pas leur stratégie. Je trouve ça cynique. Ils auraient au moins pu annoncer la création d’un fonds de soutien pour les joueuses victimes d’abus sexuel », pointe-t-il.

Il rappelle aussi que la WTA « n’a pas annulé un seul tournoi, c’est juste que personne ne pouvait venir en Chine ces dernières années à cause de la politique zéro Covid », et souligne que le circuit professionnel féminin « revient dès la première opportunité ».

Une décision « en fonction des intérêts »

Lionel Maltese, économiste du sport et membre de l’organisation de l’Open 13, souligne aussi le fait que la WTA ne s’est pas arrêtée en Chine, malgré la non-tenue des tournois : « Les tournois du grand Chelem ont continué d’être diffusés sur les chaînes chinoises, l’économie du tennis et les partenariats avec la Chine sont très importants. Donc je ne suis pas vraiment surpris de ce retour. Il fallait bien qu’à un moment ou un autre le tennis, qui est un sport global, retourne en Chine où il est très implanté. Il fallait prendre une décision en fonction des intérêts ».

L’intérêt économique semble donc dominer la réflexion de la WTA, tant la Chine a pris une part importante dans le circuit professionnel féminin avec l’organisation de nombreux Masters. En 2019, elle avait organisé 10 tournois en Chine, dont le Master féminin de fin d’année qui était même mieux doté financièrement que ceux des hommes, avec 14 millions de dollars à se partager pour les meilleures joueuses du circuit.

Des revenus limités par l’absence de la WTA en Chine

« Pour être performantes, les joueuses ont besoin d’un staff technique, d’un staff médical, d’un préparateur physique, d’un préparateur mental. Sans parler de ceux qui gèrent le côté business et marketing. Parfois il y a des blessures. Tout cela coûte très cher et il est normal pour elles de vouloir jouer des tournois avec des prize money intéressants », rappelle Lionel Maltese. Sans parler des difficultés pour monter de nouveaux tournois, comme en France ou les tournois de Strasbourg et de Lyon sont en discussion pour fusionner. Alors que la Chine dispose d’infrastructures de qualités, financées par l’Etat.

« Indirectement, les revenus des joueurs et des joueuses sont limités avec l’absence de tournoi sur le territoire chinois, ça impacte leur économie qui dépend de la visibilité de la discipline », explique Lionel Maltese. « Quand on connaît la taille du marché chinois, mais aussi les investissements de marques chinoises comme Oppo dans des tournois comme Roland-Garros, difficile de se couper d’une telle manne financière ».

La question du rôle du sport

Pour Mark Dreyer, « si on oublie l’affaire Peng Shuai, c’est une bonne nouvelle pour le tennis féminin qui a besoin de la Chine. Il y a cinq joueuses dans le top 60, donc c’est une bonne chose. Mais la façon dont ils ont complètement laissé tomber tout ce qui a été dit et fait depuis seize mois interroge ». L’analyste voit une domination des joueuses de tennis chinoise sur le circuit WTA dans les prochaines années, d’où l’importance d’y être présent.

« Est-ce que le sport a une puissance diplomatique ? », lui oppose Lionel Maltese. « Il y a un effet médiatique qui peut aider à mettre en lumière. Mais regardez au Qatar, il ne s’est pas passé grand-chose avec la Coupe du monde. Il y a surtout un devoir d’exemplarité et quand on voit ce qu’il se passe à la tête de la fédération française de tennis avec un président corrompu à des fins électoralistes, c’est difficile de donner des leçons », avance l’économiste du sport, membre de l’ancienne équipe fédérale. Le premier sport féminin mondial ne pouvait tout simplement plus se passer de la manne financière et des infrastructures du premier pays organisateur de tournoi, la Chine.