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« Ted Lasso », « Yellowstone »… Quand le grand public français tourne le dos aux séries cultes américaines

Vous étiez impatients de revoir la moustache de Ted Lasso, qui vient de faire son retour pour une troisième saison sur Apple TV+ ? Vous vous passionnez, avec Yellowstone, pour le destin de la famille Dutton dans son ranch du Montana ? Vous vous bidonnez en repensant aux répliques cultes de Schitt’s Creek ? Si vous avez répondu oui à au moins une de ces trois questions et que vous vivez en France, vous êtes un cas à part. Ces séries font partie des œuvres cultes et couronnées de succès aux Etats-Unis, leur pays d’origine, alors qu’elles n’emballent pas les foules de ce côté-ci de l’Atlantique.

Ces exemples ne sont pas isolés. Prenez This Is Us, par exemple. Si elle a ému une petite partie du public hexagonal qui l’a suivie sur Canal+ (ou en a téléchargé les épisodes illégalement), elle a fait un flop auprès du plus grand nombre lorsqu’elle a été diffusée sur M6. Les scores d’audience étaient si décevants que la chaîne l’a déprogrammée. Comment expliquer un tel constat dans notre pays pourtant largement biberonné et abreuvé de séries made in USA depuis une soixantaine d’années ?

Des différences culturelles

Première piste : les différences culturelles. « La plupart des téléspectateurs français n’ont pas toujours une connaissance du modèle américain. Il n’y a pas forcément d’attachement et de compréhension du système américain sur lequel se basent ces séries. Il lui est donc difficile de s’y projeter », avance à 20 Minutes Julie Escurignan, enseignante-chercheuse à l’école de management EMLV Paris.

Yellowstone tisse sa trame sur la politique américaine et sur l’histoire passée du pays dont certains éléments sont méconnus ou inconnus de la plupart des Français. Même chose pour This Is Us, qui suit le quotidien de plusieurs générations d’une famille américaine et dont le récit intime est confronté à des faits historiques dont nous sommes parfois peu familiers. « Du coup, nous, on le comprend moins, poursuit Julie Escurignan. C’est ce qui fait qu’il est plus facile de suivre les aventures des protagonistes de Plus belle la vie car on peut se projeter et comprendre. C’est pour cela que la France adapte parfois certaines séries étrangères. » Je te promets transpose ainsi librement les scénarios de This Is Us dans un contexte très franco-français : il n’est plus question de Californie et de Pittsburgh, mais du Sud-Ouest et de Paris. Et ça marche : la série a trouvé son public sur TF1 avec, en moyenne 4,04 millions de téléspectateurs lors de la première saison.

Autre explication au désamour français : l’écriture. Bienvenue à Shitt’s Creek repose sur beaucoup de blagues et jeux de mots qui ne parviennent pas à passer l’étape de la traduction. Les Français peuvent aussi être hermétiques à certains codes comiques suscitant l’hilarité des Américains. Si le rire est le propre de l’être humain, le fou rire ne passe pas forcément ces obstacles. « On accroche peut-être plus facilement avec l’humour de nos compatriotes européens, l’humour américain est vraiment différent. Soit on aime, soit on n’aime pas », souligne l’enseignante-chercheuse.

Trop de plateformes, trop de choix ?

Enfin, il faut dire que les plateformes de streaming n’ont pas toutes le même succès en France. Certaines comme Apple TV+ sont moins connues alors que Netflix est très installée et qu’Amazon Prime Vidéo, tire aussi son épingle du jeu.

« Les plateformes sont forcément une condition de circulation de ces productions », indique Julie Escurignan. Selon elle, « Netflix arrive plus facilement à toucher un public international. Il y a une approche de la plateforme qui pousse un peu plus à regarder des choses différentes, comme des séries chinoises ou coréennes qui fonctionnent très très bien alors que culturellement, on est aussi très loin de tout ça. L’algorithme de Netflix pousse des choses qu’on aime mais aussi nous pousse à faire la découverte de nouvelles choses, c’est la force du catalogue proposé. »

Ces sites se font la guerre à propos de la diffusion, de la production des contenus de plus en plus qualitatifs, pour toucher un public international le plus large. Cette multiplication incite « le public à faire des choix car les gens ont un budget limité ». Car oui, découvrir certaines séries implique souvent de mettre la main à la poche. Cela pousse aussi « les plateformes à avoir des productions de plus en plus qualitatives et différentes pour garder le public. Ça joue clairement dans l’influence qu’elles veulent avoir sur les audiences », détaille Julie Escurignan.

Enfin, il ne faut pas minimiser le bouche à oreille. Pour la chercheuse, même si certaines choses fonctionnent aux Etats-Unis, « si on n’a pas des proches qui regardent et qui nous disent de regarder, il y a peu de chance qu’on s’y intéresse. Ce qui nous influence en premier, c’est notre cercle proche, et pas les critiques ou les gens du métier », conclut-elle.