France

Taxe : Pourquoi le chocolat est-il accusé d’avoir « dix catégories fiscales différentes de TVA en France » ?

«Après Le Château et Le Procès, Kafka aurait pu écrire Le Chocolat. » Au moment de critiquer le nombre de procédures et la trop grande complexité des taxes dans l’économie française, Dominique Schelcher, directeur général de Système U, a opté pour le cacao. La raison de sa verve : « Le chocolat compte dix catégories fiscales différentes pour son taux de TVA. »

Démonstration par l’absurde : « Le chocolat noir est considéré comme un produit de première nécessité, donc il est soumis au taux de 5,5 %. Sauf s’il est fourré, là on repasse à 20 % comme le chocolat au lait ou blanc. Sauf s’il s’agit d’un chocolat au lait destiné à être fondu en pâtisserie, là on repasse à 5,5 %. »

« Une complexité ultra-chronophage »

Par contre, les formats qui ont la taille d’une bouchée – moins de 20 grammes et de 5 centimètres – ont tous le taux réduit de 5,5 %. Même s’ils sont blancs ou au lait. Vraiment tous ? Non, il faut que le chocolat représente au moins le quart du poids du produit. Dans le cas inverse, c’est reparti pour 20 %.

Interrogé par 20 Minutes, Thierry Lalet, président de la Confédération des chocolatiers et confiseurs de France (CCCF), plaide pour plus de simplification. « On l’espère tous. Cette complexité est ultra-chronophage, notamment lors des contrôles par le fisc ou la répression des fraudes. Alors que parfois, ça se joue à un centimètre ou à un gramme… » Le pire étant pour lui lorsque plusieurs catégories de TVA se mélangent, par exemple dans une poule de Pâques contenant différents chocolats. « On perd beaucoup de temps sur ces questions alors que c’est loin d’être le cœur de notre métier. »

« Le chocolat contient une exception dans son exception »

Le sujet n’a rien de nouveau. En 2016, la problématique sur une TVA alimentaire trop complexe était pointée par un rapport parlementaire, co-écrit par Véronique Louwagie, alors député et aujourd’hui ministre déléguée chargée du Commerce. Deux cent cinq pages, dont quatre dédiés sur « les règles de TVA peu intelligibles pour les produits chocolatés ». Même exemple que cité par Dominique Schelcher, avec des démonstrations étonnantes. Ainsi, un biscuit avec 51 % de chocolat au lait sera taxé avec une TVA de 20 %, car considéré comme du chocolat au lait. Mais il sera taxé à 5,5 % s’il contient 49,9 % de chocolat au lait, car considéré alors comme un biscuit.

L’économiste Philippe Crével aide à y voir un peu clair. « Toutes les denrées alimentaires sont taxées à 5,5 % de TVA, sauf quatre exceptions. Le chocolat, les confiseries, les boissons alcoolisées et les graisses végétales. Ces quatre catégories sont taxées à 20 %, soit le taux normal de TVA. Mais le chocolat contient une exception dans son exception puisque le chocolat noir, soit la version « pure » du produit, est taxé à 5,5 %. » Tout comme « les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao ». Egalement, lorsqu’un produit est mangeable en « une bouchée », il est automatiquement considéré comme à 5,5 %. D’où les calculs d’apothicaires sur la longueur en millimètre d’un carré de chocolat.

Les exemptions aussi populaires que la simplification

« Il s’agit donc d’exemptions pour soulager un peu le porte-monnaie du consommateur », défend Philippe Crével, qui reconnaît toutefois des taux qui « peuvent paraître arbitraire » entre deux catégories.

Pierre Boyer, professeur à l’école Polytechnique et directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques (IPP), complète : « Si les Français plaident pour plus de simplification, les exemptions sont aussi très populaires et le consommateur est favorable à des taux différenciés selon certains critères. » Par exemple, « le fait qu’on taxe plus l’alcool, ou que le chocolat blanc, plus transformé et sucré que le chocolat noir, soit plus taxé que ce dernier, sont des mesures qui, une fois expliquée, suscitent généralement l’adhésion ».

Une simplification à 20 % ou à 5,5 % ?

Philippe Crével en est convaincu : « Les Français adorent les produits à 5,5 % de TVA, mais ils adorent aussi les services publics. Et à un moment, il faut bien les financer avec des taxes élevées. » Enfin, si le producteur peut être impacté par cette complexité, « elle est totalement invisible pour le client. Ce dernier va en magasin, achète et ne décortique pas la TVA », conclut Pierre Boyer.

Une éventuelle simplification, en mettant tous les chocolats au même taux, pose fatalement la question : lequel ? Selon l’étude de 2016, passer tous les chocolats à 5,5 % ferait perdre 230 millions d’euros de taxes. Si cette solution était privilégiée par les deux auteurs du rapport à l’époque, le choix sera-t-il le même dans la France de 2025 qui souhaite se serrer la ceinture budgétairement et a une armée à financer ?

Thierry Lalet l’admet, malgré son envie de simplification, la CCCF se montre assez discrète sur le sujet en ce moment car, au vu du contexte économique actuel et des récentes mesures budgétaires, « il y a un vrai risque qu’en cas de simplification, Bercy opte pour les 20 % ». Finalement, un peu de complexité, ce n’est pas non plus insurmontable.