« Tape-le donc, cornichon »… La tradition des combats de coqs « ne s’éteint pas » dans le Nord
Ce jeudi 14 novembre 2024, une proposition de loi – qui a peu de chance d’aboutir – est examinée au Sénat, afin d’interdire « la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de 16 ans », afin de les « préserver de l’exposition à la violence ». A cette occasion, nous vous proposons de relire ce reportage sur les « concours de coqs » publié l’an dernier.
Dans le Nord-Pas-de-Calais aussi, on a des traditions : le welsh, le carnaval et les combats de coqs. Si les deux premières font l’unanimité, c’est beaucoup moins vrai pour la dernière, à tel point que l’on croyait cette pratique éteinte. Ce n’est pas le cas, et si la tradition perdure, elle se fait néanmoins discrète. C’est d’ailleurs grâce à un appel à manifester du parti animaliste que l’on a appris l’organisation de combats, samedi, à Beuvry-la-Forêt, dans le Nord. Forcément, on a voulu aller voir. Reportage.
Des gallodromes, il en existe encore quelques-uns dans le Nord-Pas-de-Calais, mais samedi, c’est au beau milieu d’une salle de sport que l’arène, ou plutôt le parc, a été montée. A l’entrée, on nous tamponne la main à l’encre bleue une fois le montant du billet acquitté : trois euros. Tout de suite à droite, sur des tables à tréteaux, la buvette. Sur la gauche, derrière quelques paravents, on imagine aux cris qui en émanent que c’est là que tout se joue. Mais avant d’accéder au parc, il faut longer la « zone d’armement », l’endroit où les « coqueleurs » équipent leurs combattants de gaffes, sortes d’éperons métalliques acérés, fixés sur les ergots des volatiles.
Pour les paris, « rien n’est écrit, c’est une question de parole »
Autour du parc, des dizaines de spectateurs ou de participants ont déjà pris place. A vue de nez, on a 98 % d’hommes et, dans les tenues vestimentaires, c’est le vert kaki qui domine. « Beaucoup sont des chasseurs, comme moi », explique Arnaud Delplanque, président de la Société chasse place et organisateur du concours. Agé d’une soixantaine d’années, d’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours assisté à des combats sans pour autant y participer. « Avant, c’est le club de foot de Beuvry qui organisait ça, mais les dirigeants ont décidé d’arrêter, explique-t-il. Alors avec un copain, on a voulu reprendre le flambeau pour que la tradition ne s’éteigne pas. » Parce qu’a ce sujet, la loi est très claire : les combats de coqs sont interdits en France, exception faite du Nord-Pas-de-Calais, où ils sont considérés comme une tradition locale. Encore faut-il justifier que cette tradition est ininterrompue, autrement dit « qu’au moins un combat par année civile soit organisé dans la commune pour qu’elle conserve son autorisation », précise Arnaud Delplanque.
Les cris entendus dès l’entrée n’étaient pas ceux des coqs, mais les appels des parieurs agglutinés autour du parc. « Cinq Bernard », « cinq Michel »… Une cacophonie qui, à première vue, part dans tous les sens pour le non initié. « En fait, les gens parient entre eux sur la victoire de tel ou tel coq, nous explique un spectateur. Rien n’est écrit, c’est une question de parole. » Les coqueleux sont dans le parc, leurs bêtes dans les bras, tenant fermement leurs pattes le temps de retirer les protections qui dissimulent les gaffes. Avant de les lâcher, il y a un rituel. « Ils font la visite des armes, chacun regarde si les gaffes de l’autre sont conformes. Après ils présentent les coqs face à face puis les déposent et doivent se retirer immédiatement », nous explique un amateur averti.
C’est là qu’on entre dans le dur et que le vacarme des preneurs de paris cesse. Il ne faut généralement que quelques secondes pour que les combattants se jettent l’un sur l’autre. « Tape-le, mais tape-le donc, cornichon », crie un sexagénaire en treillis de chasse. Des « encouragements » assez rares cependant, l’ambiance pendant les combats étant plutôt étrangement silencieuse. Le seul bruit vient des coqs eux-mêmes, dans leurs mouvements pour s’écharper. Ça, et des plumes qui volent dans tous les sens. Rapidement, les combattants sont hors d’haleine, épuisés, haletants, gisant sur le flanc pour un repos de courte durée. Jusqu’à ce que l’un d’eux se jette à nouveau sur son adversaire. Si l’un prend le dessus, il s’acharnera à coups de bec sur la tête de l’autre, jusqu’à ce que mort s’ensuive. « Les juges peuvent arrêter le combat si un coq est blessé ou mort », reconnaît l’organisateur. Dans les faits, plusieurs y ont laissé la vie avant la fin des cinq minutes réglementaires.
Interdiction de filmer et de photographier les combats
Pendant tout l’après-midi, les affrontements se sont enchaînés. « Des parties », préfèrent dire les coqueleux. Tout comme l’on ne dit pas d’un coq qu’il combat, mais qu’il « joue ». Des euphémismes pour cacher ce que les défenseurs des animaux qualifient de pratique barbare ? « Oui, c’est peut-être un peu cruel, concède un des organisateurs. Mais ce n’est rien par rapport à ce qui se fait dans les élevages industriels », insiste-t-il auprès d’une consœur de BFM, interdite de filmer les combats. Ils le reconnaissent, cette question est un peu délicate, aussi nous a-t-on déconseillé de nous présenter comme journalistes et de faire des photos. Une règle que les aficionados s’appliquent à eux-mêmes. Il faut se rendre à l’évidence que des images d’un parc maculé de sang dont sortent en piteux état des animaux déplumés ne serviraient pas leur cause.
Samedi, il y aura eu 42 combats, pas mal d’argent échangé et un nombre de morts impossible à savoir. Les coqs qui y ont laissé la vie seront consommés par leurs propriétaires, « on ne va pas les jeter à la poubelle quand même », s’indigne un participant. Les autres, pourvu qu’ils ne soient pas en trop mauvais état, seront soignés en vue de combattre lors d’un prochain concours. « Y’en a un, l’année dernière, il a gagné huit combats à même pas trois ans », nous assure un quadragénaire. La star du moment qui excite les parieurs mais dont la fin en nuggets ou en filet est écrite d’avance.