Tags antisémites de « l’immeuble maudit » : « Ma fille voulait me faire accuser », tente la prévenue et fausse victime

Au tribunal correctionnel de Paris,
La situation est explosive et l’anxiété est au plus haut dans cet immeuble du 11e arrondissement. A partir du 19 septembre 2024 apparaissent des croix gammées, des tags antisémites, des étoiles de David, des « mourir sales juifs, mort aux juifs, tu vas mourir sale juifs [sic] », inscrits sur les murs, dans l’ascenseur, sur les marches, sur les boîtes aux lettres ou encore sur les portes.
Un immeuble « maudit » où habitent plusieurs personnes de confession juive et « dans lequel a été tuée Mireille Knoll », rappelle monsieur J. Le petit homme de 94 ans, qui se hisse difficilement sur ses deux jambes tremblantes tient bon à la barre. Il est l’une des victimes du procès de Nancy Szejnberg, 51 ans, jugée pour avoir dénoncé ces inscriptions, s’en disant victime et soupçonnée d’en être l’auteure.
Des dizaines d’appels à la police
A 17 reprises, constatant des inscriptions menaçantes et antisémites, cette habitante de l’immeuble sollicite les services de police entre septembre 2024 et janvier 2025. Elle dépose plusieurs plaintes. A chaque appel et à chaque dépôt de plainte, les policiers se déplacent. « Pas moins d’une vingtaine de transports sur les lieux pour des constatations. Surveillances pendant des nuits, de longues heures, investigations téléphoniques, bancaires », détaille le procureur. Puis les enquêteurs doutent et décident d’installer une caméra dans l’ascenseur. Les images font basculer l’affaire. On y voit Nancy Szejnberg et S., sa fille de 16 ans, feutre à la main.
Devant le fait accompli, Nancy Szejnberg reconnaît avoir été à l’origine d’inscriptions, avec sa fille, dans l’ascenseur de l’immeuble. Cette fois-là seulement, pour « faire sortir du bois » le réel coupable, justifie-t-elle. On voit l’adolescente taguer la porte du 10e étage et celle du 8e étage, où réside monsieur J. Ce dernier, président de l’association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 11e arrondissement, assure qu’il ne se doutait pas une seconde que toutes ces inscriptions pouvaient venir de sa voisine du 10e. Son « grand-père a été arrêté et déporté à Auschwitz par les Allemands », rappelle-t-il à la barre.
« Un problème identitaire »
Nancy Szejnberg nie les accusations, et notamment être la commanditaire de tous les autres tags et des deux lettres anonymes qu’elle a reçues. La responsable, c’est sa fille, maintient-elle à la barre. Une fille qu’elle a adoptée au Sénégal, comme son fils. « Elle a un problème identitaire », explique la prévenue, l’air un peu hagard. Alors qu’elle dit avoir voulu protéger sa fille lors de ses gardes à vue en s’incriminant elle-même, elle change désormais radicalement de version. « Quand j’ai vu les tags, je me suis dit que c’est à moi qu’elle s’adresse, elle écrit ‘je te regarde souffrir’ ». « Je sais qu’elle m’en voulait beaucoup du temps que je passe avec son frère » dysphasique avec des troubles du langage « qui demande beaucoup de soins », poursuit la mère de famille.
Et cette question identitaire liée à la religion expliquerait la teneur antisémite des dégradations. « Ma fille est de culture musulmane et se sent rejetée par rapport à ma communauté », explique Nancy Szejnberg, elle-même de confession juive. « Elle voulait aller dans une école juive mais ce n’était pas possible, elle faisait souvent l’objet de remarques, on la prenait pour ma bonne, elle le vivait de plus en plus mal », énumère-t-elle. Mais alors pourquoi s’en prendre à sa propre mère ? « Je ne sais pas. Peut-être qu’elle voulait me faire accuser. Je ne peux pas parler pour elle », répond la prévenue qui affirme s’être sentie « piégée ». En pleurs, elle demande pardon à ses voisins, à « tout l’immeuble ».
Mais ni les larmes, ni sa version ne convainquent le procureur qui a requis trois ans de prison dont deux avec sursis, estimant que « madame a participé avec sa fille à l’ensemble des dégradations » et dénonçant « l’entêtement de la prévenue à mentir ». « Elle disait et moi je faisais les écritures », assure de son côté l’adolescente lors de sa garde à vue, dont l’enregistrement a été diffusé à l’audience. Après avoir été fausse victime des tags, Nancy Szejnberg serait-elle également une fausse victime de sa fille ? Dans tous les cas, « l’auteur de tags antisémites n’était pas antisémite », estime un autre avocat des parties civiles. Le tribunal rendra son jugement le 14 mai prochain.