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Syrie : Turquie, Arabie saoudite… A qui va profiter la levée des sanctions américaines visant Damas ?

C’est une Syrie que n’a jamais connue toute une génération de Syriens. Les premières sanctions américaines ont été imposées dès 1979 alors que le régime d’Hafez al-Assad (le père de Bachar) était considéré comme un « Etat parrain du terrorisme ». Donald Trump est en train d’écrire une toute nouvelle page de l’histoire de la Syrie en annonçant, lors de sa visite en Arabie saoudite mardi, la levée des restrictions économiques et financières. Le monde peut à nouveau collaborer avec Damas.

Une annonce accueillie par des foules en liesse dans les rues des différentes villes du pays. Pour cause, « 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté » à cause des conditions économiques créées par les sanctions, rappelle Cédric Labrousse, doctorant à l’EHESS spécialiste des groupes armés en Syrie. La population a besoin de cette relance économique, et avec elle, l’espoir de retrouver des niveaux de vie décents.

Une terre d’influence régionale et mondiale

Mais derrière cette initiative aux reflets humanitaires se cachent (mal) des intérêts financiers, économiques et diplomatiques. La Turquie et l’Arabie saoudite, qui ont insisté pour que Donald Trump saute le pas, ont beaucoup à y gagner. « Ils veulent façonner le nouvel ordre syrien. Cela signifie un accès économique et une influence politique, sans ingérence des États-Unis », analyse Hussam Hammoud, journaliste d’investigation syrien coauteur de L’asphyxie : Raqqa, chronique d’une apocalypse.

L’Arabie saoudite, et plus globalement les pays du Golfe, voient dans la chute de Bachar al-Assad l’occasion de revenir dans le jeu. « La Syrie est un pays pivot et avoir un pied à Damas c’est avoir un pied dans ce carrefour vers la Turquie, vers les pays du Golfe, vers la Méditerranée et plus loin l’Europe », développe Cédric Labrousse. Derrière, les enjeux diplomatiques sont considérables. C’est aussi « une ligne de front dans la guerre froide en Riyad et Téhéran », ajoute Hussam Hammoud. Pour la Turquie, il s’agit de prendre plus facilement la main sur la zone du nord-est syrien occupée par leurs ennemis kurdes (soutenus par les Etats-Unis).

Les enjeux économiques et stratégiques de la reconstruction

Après quatorze années de guerre civile, le chantier de la reconstruction est immense. Une aubaine pour les investisseurs économiques et financiers avec un budget potentiel estimé à 400 milliards de dollars par l’ONU. Infrastructures routières, bâtiments, réseau énergétique… Sans oublier les possibles prospections en ce qui concerne le pétrole et le gaz. Tous les secteurs sont concernés avec à la clef de juteux contrats qui pourraient permettre aux entrepreneurs d’avoir des perspectives d’investissements et donc de retour sur investissements. « Les entreprises turques opèrent déjà dans les anciennes zones tenues par les rebelles dans le nord de la Syrie, ils vont pouvoir étendre leur emprise à l’ensemble du pays », décrypte Hussam Hammoud.

La reconstruction sera aussi politique. Actuellement dirigée par le président de transition, l’islamiste et ancien de la branche syrienne d’Al-Qaida Ahmed al-Chareh, la Syrie part de loin après plusieurs décennies sous les sanglantes dictatures de la famille Assad. « Celui qui aura la meilleure emprise sur le pouvoir de Damas aura la main sur le reste », résume Cédric Labrousse.

Un désengagement trumpiste du Moyen-Orient

Toutes ces ambitions collent au calendrier trumpiste. Le président américain n’a jamais caché ses envies de s’éloigner des conflits du Moyen-Orient. Alors si Marco Rubio l’en avait empêché lors du premier mandat, il semble désormais déterminé à mettre en œuvre son plan de désengagement de la région. « Les forces américaines vont rester au moins jusqu’en 2029 en Irak, c’est juste de l’autre côté de la frontière. En cas de problème, elles peuvent intervenir en 24 heures », nuance Cédric Labrousse.

Notre dossier sur la Syrie

La levée des sanctions pourra permettre à Washington de profiter de la présence d’une alternative à Bachar al-Assad à la tête du pays et donc de pouvoir partir sans laisser un vide de pouvoir tout en « évitant de légitimer directement un ancien chef djihadiste », relève Hussam Hammoud. Le tout, en espérant profiter financièrement de la reconstruction.